«Neige sur Abidjan» : voyage au pays du père

Le Devoir – Après trente ans à servir la parole des autres, Iannicko N’Doua interprétera pour la première fois ses propres mots sur scène, dans Neige sur Abidjan. Un texte né d’un voyage fait en Côte d’Ivoire en 2008 qui a marqué les retrouvailles du comédien avec son père, après deux décennies de séparation.

Attiré par l’écriture depuis longtemps, il n’avait pas prévu au départ que celle-ci emprunterait la forme théâtrale. Le comédien, qui joue depuis l’âge de 10 ans, a amorcé sa carrière devant la caméra. C’est lors de sa participation à l’émission jeunesse Kif-Kif (2006-2008) qu’il a décidé de suivre une formation dans une école de théâtre, à la mi-vingtaine, parce que la majorité de ses co-interprètes en étaient de récents finissants. « Je les voyais faire des propositions et je me disais : moi aussi, je suis rendu là, raconte Iannicko N’Doua. J’avais envie de pouvoir jouer des rôles qui sont plus loin de moi. » Initialement, il ne pensait qu’aller y acquérir des outils pour les transposer dans son jeu. « Je ne m’attendais pas à jouer au théâtre. Mais finalement, j’ai eu la piqûre. Et j’ai eu des propositions intéressantes sur la scène depuis ma sortie. »

En effet. Il a connu son baptême théâtral dans l’audacieux Caligula (remix) mis en scène par Marc Beaupré — un grand complice, qui le dirigera pour la quatrième fois dans sa création au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui. Et le comédien s’est distingué récemment dans l’épique Rome et le brillamment vertigineux Atteintes à sa vie, à l’Usine C. « J’aime embrasser le théâtre pour ce qu’il est, explique-t-il. À la télé ou au cinéma, je vais chercher autre chose. Mais quand je fais du théâtre, j’aime être dans des propositions exigeantes, des textes touffus, inhabituels. »

C’est lorsqu’il étudiait en théâtre que N’Doua a couché sur papier le premier jet de Neige sur Abidjan, afin de garder une trace de son périple. « Quand j’ai fait ce voyage, j’ai pressenti que c’était un moment charnière dans ma vie, que c’était une histoire qui allait m’habiter. Le texte est resté dans mes tiroirs pendant des années, mais je savais qu’ultimement c’était le récit auquel je retournerais, le jour où j’aurais le courage de m’y attaquer. » Le courage de plonger en soi.

« Je n’en avais pas pris conscience, mais l’absence d’un père a laissé des traces en moi, confie-t-il. C’est quand même tragique de savoir que quelqu’un à qui on est lié existe, mais que la vie nous empêche de nous retrouver. Et c’est là où je trouve que l’histoire a une dimension plus large que juste mon vécu : [c’est celle de] quiconque est confronté à l’éloignement ou à la perte. Et ultimement on l’est tous, à un moment. Pour moi, c’était important d’aller retrouver [mon père]. Et juste dans la rencontre des corps, il y a quelque chose qui s’apaise, il y a une compréhension de ce qu’on est qui va au-delà des mots. Et c’est ça, le spectacle. »

Un « geste de réconciliation et d’amour » loge donc au coeur de la pièce, même « quand ça passe par l’exploration des blessures ou de la douleur qui découle de cette séparation. Et de pouvoir reconnaître ces parts de blessures permet de reconnecter avec le monde extérieur. »

Les situations et les personnages de Neige sur Abidjan s’inspirent de la réalité, mais une « certaine distance » s’est créée dans l’écriture, indique l’auteur. « Et il y a des échanges entre père et fils où on revisite un souvenir, donc on le réinterprète, on le fantasme. »

Choc culturel

 

Pour la première fois depuis l’âge de 4 ans, le Fils renoue donc, en chair et en os, avec le Père, venu étudier à Montréal, puis reparti en Côte d’Ivoire, avec lequel il n’avait communiqué depuis que par correspondance. Et lors de ce voyage, il se découvre aussi des frères et des soeurs. Une famille jusqu’alors inconnue, à laquelle le rattachent néanmoins des liens très forts. « C’est ce que j’ai ressenti, dit Iannicko N’Doua. Je reconnaissais des gestes, des attitudes chez mon père. Il y a quelque chose de confortant là, qui laisse penser qu’il y a des liens au-delà de l’éducation, qu’on porte en soi. Et la façon de considérer la famille en Afrique est très différente. Pour mes frères et soeurs, il n’y a aucune distinction entre si ça fait un jour [qu’on se connaît] ou si on a grandi ensemble depuis toujours. Les rapports sont très intimes, comme s’ils avaient toujours existé. On n’est pas habitués à ça, on est dans un rapport beaucoup plus individualiste, ici, en Occident. Donc, c’est un choc énorme quand on se retrouve au centre de cette autre façon de considérer la vie familiale, sociale. »

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Marie Labrecque

Collaboratrice

 

 

 

Source : Le Devoir (Québec)

 

 

 

 

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