Le Monde – Pour Halloween, certains se sont peut-être déguisés en « sorcier vaudou » : les cheveux hirsutes, le visage dément et comme rongé par la lèpre, les dents carnassières prêtes à se déchausser… Une caricature qui « blesse » Erol Josué, véritable prêtre vaudou – houngan, en créole haïtien – aux antipodes de stéréotypes colonialistes, voire racistes, qui ont encore la peau dure.
Forgés par les éthologues nord-américains au début du XXe siècle, diffusés par le cinéma hollywoodien, « les clichés font passer Haïti pour une terre de sauvages », déplore au Monde celui qui est également commissaire associé de l’exposition « Zombis. La mort n’est pas une fin ? », au Musée du quai Branly jusqu’au 16 février 2025.
« Très jeune, je me suis fixé comme mission de porter une autre image du vaudou », assure cet adepte de la religion traditionnelle du petit Etat caribéen, que l’on réduit souvent à une pratique de la magie noire, au gré des films qui l’ont rendu célèbre, du pionnier White Zombie (Victor Halperin, 1932) à La Porte des secrets (Iain Softley, 2005), en passant par Angel Heart. Aux portes de l’enfer (Alan Parker, 1987).
« Le vaudou est très ouvert »
Lorsqu’on le rencontre dans un café parisien, en marge de l’exposition, l’homme frappe par son allure sophistiquée : rasé de près, il porte un petit chapeau carré rouge carmin assorti à son manteau long et à sa chemise de même couleur. Son ensemble uni reste néanmoins sobre, en comparaison avec ses tenues de scène, dignes d’un David Bowie ou d’un Elton John.
Car l’homme est aussi un artiste, un danseur et un chanteur de renommée internationale, dans un groupe à son nom qu’il qualifie d’« électro vaudou ». Tout est lié, explique-t-il : « La musique et la danse ont un rôle fondamental de transmission de notre culture et de notre religion. » Redécouvrir, préserver et faire connaître ce patrimoine fait aussi partie de ses missions en tant que directeur général du Bureau national d’ethnologie (BNE) d’Haïti.
Né en 1974 à Port-au-Prince, Erol Josué grandit dans une famille d’adeptes du vaudou. Son arrière-grand-mère était une mambo (« prêtresse ») : c’est elle qui l’a initié à cette religion, à la connaissance des plantes et à la médecine traditionnelle. Sa mère, également devenue mambo, parfera son éducation.
En Haïti, tout le monde ne devient pas houngan, mais une pratique coutumière du vaudou n’a rien d’exceptionnel : « Toutes les familles participent à des degrés divers à des cérémonies traditionnelles, de la même façon que la plupart des Français font les fêtes du calendrier chrétien. »
Du solstice d’hiver au 6 janvier, par exemple, c’est la saison makaya : la coutume est de cueillir des feuilles vertes et fraîches, de les utiliser pour nettoyer les maisons et les lieux sacrés, ou de les faire sécher pour préparer des décoctions et, enfin, de se baigner dans des rivières ou dans la mer pour se purifier. « On se retrouve dans une ambiance festive pour commencer la nouvelle année du bon pied », résume Erol Josué, qui précise fêter aussi Noël : « Le vaudou est très ouvert aux autres pratiques religieuses. »
« Choisi par les “lwas” »
Dès l’enfance, il se sent « choisi » pour endosser un sacerdoce plus spécifique. « J’aimais la musique et la danse, je vivais parfois des épisodes de transe et j’avais un don de voyance, assure-t-il. Certaines nuits, j’étais dans mon lit et je sentais que les esprits venaient me parler, je recevais des messages. Par exemple, je rêvais de quelqu’un que je n’avais pas vu depuis des années et, le lendemain, il nous rendait une visite surprise ! » Ses parents lui assurent en tout cas qu’il a été « appelé » et affirment qu’il a une relation spéciale avec les lwas, les esprits de la religion vaudoue. « On ne décide pas de devenir houngan, insiste Erol Josué, ce sont les lwas qui nous élisent. »
Prendre cette responsabilité revient à perpétuer une tradition et à assurer une forme de leadership sur les autres membres de la famille. Avant de se conformer pleinement à ce rôle, Erol Josué termine sa scolarité, puis rejoint une école de danse et de musique à Port-au-Prince.
Initié et reconnu houngan par sa famille à l’âge de 17 ans, le jeune homme est aussi curieux de découvrir le monde. Il s’installe en France au début des années 1990, à l’âge de 19 ans, et forme la Compagnie Shango, qui connaîtra un certain succès d’estime. En 2006, il part vivre aux Etats-Unis et enregistre un album renommé à l’international, Régléman.
« Chanter, c’est déjà une façon de servir les lwas, explique-t-il. Le vaudou est un mode de vie très artistique. » Traditionnellement, la musique et la danse sont omniprésentes en Haïti : les marchands de rue, les familles qui font la lessive au bord de la rivière, les cérémonies religieuses… « On chante tout le temps ! », sur un ton qui peut être tantôt léger, tantôt politique ou spirituel : « On célèbre les lwas, on critique un gouvernement, on évoque une fable morale… »
Source : Le Monde – (Le 31 octobre 2024)
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