« Sidi Molière ». Comment le monde arabe a adopté un classique du théâtre français

 Orientxxi.info   – Pour l’année 2025, le festival d’Avignon, l’une des plus grandes manifestations des arts de la scène en Europe, a choisi l’arabe comme langue invitée pour sa 79e édition. Un geste important dans le contexte de l’après 7 octobre 2023, et plus largement dans un pays où cette langue est souvent stigmatisée. L’occasion de revenir sur un ouvrage de recherche qui suit les traces des adaptations de l’œuvre de Molière dans le monde arabe.

L’intérêt des programmateurs pour la production théâtrale en arabe n’est pas nouveau. Dès les années 1960, les réseaux militants ont joué un rôle central dans la circulation du théâtre en arabe en France. Au moment des printemps arabes, au début de la décennie 2010, de nombreux artistes originaires de pays arabes sont invités sur les scènes françaises, le plus souvent pour témoigner et porter un discours politique, avec une attention moindre pour leurs innovations esthétiques.

Plus récemment, la pièce de Hassan Abdulrazzak, And Here I am, mise en scène par Zoé Lafferty et interprétée par Ahmad Tobassi, le directeur artistique du Théâtre de la liberté de Jénine, était l’unique production en arabe présentée cette année à Avignon. Elle n’a eu qu’une seule représentation au Théâtre des Carmes le 6 juillet 2024, en marge de la programmation du IN et du OFF. Au départ, l’initiative avait été particulièrement portée par les associations militantes locales.

Des chercheurs francophones ont également contribué à exhumer les dramaturgies en construisant un savoir spécifique sur le théâtre en arabe. Depuis une dizaine d’années, le théâtre en arabe est un objet scientifique à part entière. Les divers travaux ont mis au jour des enjeux épistémologiques singuliers qui se sont construits au croisement des études théâtrales, des études arabes, de l’histoire, de la sociologie, de la littérature comparée et de la traductologie.

« Un classique arabe »

 

Parmi ces récentes recherches qui enrichissent la connaissance du théâtre en arabe, l’ouvrage de Ons Trabelsi, maîtresse de conférences à l’université de Lorraine, issu de sa thèse dirigée par Christian Biet sous le titre Sidi Molière. Traduire et adapter Molière en arabe (Liban, Égypte, Tunisie, 1847-1967), apporte une contribution stimulante aux études théâtrales en arabe. L’ouvrage a reçu le Prix Diane Potier Boès 2024, destiné à récompenser « l’auteur d’un ouvrage traitant des rapports entre l’Égypte et la France, ou d’un ouvrage consacré à l’histoire ou à la civilisation de l’Égypte, ou à l’histoire ou à la civilisation des pays de la Méditerranée ». L’essai examine l’histoire des transferts culturels et des circulations dans le sens inverse de celui de la majorité des études, c’est-à-dire depuis les scènes françaises vers celles de l’espace arabe.

À partir du postulat que l’œuvre de Molière constitue « un classique arabe », Ons Trabelsi s’interroge sur l’histoire de la circulation, entre traduction et adaptation, du modèle moliéresque au Liban, en Égypte et en Tunisie, sur un peu plus d’un siècle. Elle questionne les modalités de circulation du modèle théâtral européen et son introduction dans l’espace arabe. Pour mener une minutieuse enquête sur la découverte de Molière dans l’espace arabe, elle met au jour les dynamiques d’un circuit géographique qui part du point le plus éloigné de l’origine de l’œuvre de Molière — le Liban —, puis qui suit le pourtour méditerranéen en passant par l’Égypte et s’achevant en Tunisie.

L’ouvrage étudie sur le temps long les modalités de circulation des textes et les procédés de traduction, d’adaptation puis finalement d’intégration au répertoire théâtral, voire plus largement à la culture théâtrale. Au point que Molière est parfois nommé Molièruna (« notre Molière »), Molière al-chahir (« le célèbre Molière »), Si Molière (« Monsieur Molière »), « Molière l’Égyptien » ou encore, celui qu’elle appelle « Sidi Molière ». L’étude conclut sur la postérité de l’expérience moliéresque dans l’espace arabe qui, à l’issue d’un siècle d’expérimentations, donne forme à une figure du patrimoine tunisien, celle du Maréchal ʿAmmar, le personnage principal d’une pièce éponyme adaptée du Bourgeois gentilhomme, dont le succès dépasse les limites de la scène tunisoise grâce à sa diffusion télévisée.

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Najla Nakhlé-Cerruti

Agrégée d’arabe, chercheuse à l’Institut français du Proche-Orient (Ifpo) et responsable de l’antenne d’Amman. Spécialiste du théâtre.

 

 

 

 

Source : Orientxxi.info 

 

 

 

 

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