Guerre au Liban – « Mon cadavre, ils l’auraient pris pour aller travailler ! »

 Afrique XXI – Reportage · Alors que le Liban est sous les bombes d’Israël depuis plusieurs semaines, nombre d’employés de maison originaires d’Afrique et d’Asie se retrouvent livrés à eux-mêmes. Traumatisés, parfois abandonnés par leur employeur et par leur propre pays, ils tentent de trouver un refuge à Beyrouth.

C’est une petite rue comme il y en a des dizaines à Nabaa, un quartier populaire du nord-est de Beyrouth. Une de celles qui semblent encore épargnées par la guerre, alors que de nombreuses bombes israéliennes sont tombées à une poignée de kilomètres de là, et qu’elles touchent les quatre coins du Liban1. En fond sonore, un bourdonnement sourd couvre parfois le bruit du chaos urbain. Il s’agit d’un drone israélien qui survole la capitale. Depuis des mois, ils sont quasi quotidiens. Presque invisibles, ils rappellent à toutes et à tous qu’une frappe peut arriver à tout moment.

Un petit magasin offre un large éventail de fruits et de légumes. À côté s’élève un bâtiment de plusieurs étages à la façade noircie par la poussière crasseuse et collante. C’est dans cet immeuble qu’une partie des travailleurs et travailleuses originaires du Burkina Faso ont trouvé la paix au milieu de la guerre. Depuis un an, les combats entre le Hezbollah et Israël étaient limités au sud du pays. Mais, à la mi-septembre, l’armée israélienne a étendu ses attaques à tout le Liban.

Des milliers de déplacées

Les 17 et 18 septembre 2024, l’État hébreu fait exploser des milliers de bipers et de talkies-walkies à travers le pays. Ces attaques font 37 morts et des milliers de blessés. Le 20 septembre, l’armée israélienne continue son offensive et bombarde la banlieue sud de Beyrouth. Et le 23 septembre, c’est la journée de l’horreur : des heures durant, des villages situés sur la frontière sont pilonnés. Des milliers de personnes fuient les bombes en empruntant la route côtière. Certains mettront plus de vingt heures pour parcourir les moins de 200 kilomètres qui les séparent de la capitale libanaise – pour ceux qui y arriveront.

Ce 23 septembre a été la journée la plus meurtrière depuis la guerre civile (1975-1990) au Liban avec au moins 558 morts, dont 50 enfants et 94 femmes, des milliers de blessés et de nombreux déplacés. D’après le ministère libanais de la Santé, cette guerre qui dure depuis un an a fait plus de 2 300 morts, plus de 10 000 blessés et plus de 1,2 million de déplacés pour une population d’un peu moins de 6 millions d’habitants. Parmi eux : de nombreux travailleurs étrangers employés sous le régime de la kafala.

Ce système désigne, à la base, une mesure spécifique au droit musulman qui permet de confier un enfant à une famille sans filiation. Depuis les années 1970, il s’agit d’un système institutionnalisé et légal de main-d’œuvre à bas prix. Environ 250 000 domestiques travaillent aujourd’hui au pays du Cèdre dans ces conditions. La plupart viennent des continents asiatique et africain.

Une étude récente indique que « les femmes représentent 76 % de l’ensemble de la main-d’œuvre immigrée, venue au Liban pour trouver du travail, et 99 % de l’emploi domestique »2. D’après un article de L’Orient Today, l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) estime que 17 500 immigrantes ont été déplacées en raison de la guerre. Seules 4 500 ont pu être relogées.

« Ici, à Beyrouth, c’est un autre monde »

Emmanuel est de ceux-là. Comme les autres personnes accueillies au foyer de Nabaa, il est tout à la fois une victime de ce système et un rescapé des bombardements israéliens. Assis sur une chaise en plastique à l’extérieur du bâtiment, vêtu d’un survêtement couleurs or et bleu, il discute avec d’autres travailleurs. Le Burkinabè travaillait comme concierge pour une famille libanaise dans le village de Zrariyeh, tout proche de la frontière.

Le patron d’Emmanuel avait déjà quitté le Liban depuis plusieurs semaines pour retourner en Afrique. Le concierge devait garder la maison, seul. « Vers 10 heures, j’ai vu les missiles qui venaient de gauche et droite… Les autres familles autour de la maison étaient déjà parties à Beyrouth. Quand je suis sorti pour voir, j’ai vu la maison des voisins complètement détruites… Et un missile est tombé juste devant moi… », explique-t-il, le regard baissé et les doigts noués. Immédiatement, ce père de famille, originaire de Ouagadougou, enfourche sa moto et prend la route du nord. Il lui faudra plus de onze heures pour arriver à Beyrouth. « Le responsable de notre communauté, Gouba, nous a accueillis ici, il nous a montré où nous pouvions dormir. Ce soutien, c’est important. Ici, à Beyrouth, c’est un autre monde… », constate-t-il.

Depuis plusieurs semaines, 35 personnes passent leurs journées dans ce foyer. Le soir, il n’en reste que 7, qui dorment sur des matelas posés au sol dans les petites pièces de l’appartement refuge. Quelques-uns sont hébergés par d’autres membres de la communauté qui possèdent leur propre logement à Beyrouth. « On nous demande ce qu’il nous manque : de l’argent, de la nourriture, du gaz… De tout, tout, tout. Ce sont les gens de la communauté qui nous apportent cela. C’est grâce à eux que l’on peut tenir un peu. Et grâce aux ONG aussi », détaille le concierge.

Un voisin interrompt Emmanuel et s’adresse au groupe en anglais. Il demande des informations concernant des hommes et une moto… Gouba Hato, le responsable de la communauté, cuisinier depuis vingt ans au Liban, explique : « Il y a des voleurs qui nous ont attaqués dans la nuit. Ils ont volé les motos. Une personne a été frappée. C’était la nuit… les filles étaient ici. » Quand on lui demande si son patron le soutient, Emmanuel dodeline. « Il m’a dit de prendre courage », répond-il, un peu gêné.

Le bruit des bombes

 

À l’intérieur du bâtiment, des femmes sont couchées sur des matelas dans une pièce exiguë. Sur une petite table, un peu de café, du riz et d’autres produits alimentaires. Des valises sont empilées les unes sur les autres. À notre arrivée, les trois femmes s’empressent de ranger les matelas contre les murs. Elles sortent des chaises d’un coin. Elles défroissent leurs habits. Puis, elles s’installent sur les chaises, prêtes à dérouler leur histoire.

Ida est arrivée il y a un peu plus d’un an au Liban pour travailler pour une famille habitant le même village qu’Emmanuel. Son témoignage ressemble à ceux des milliers d’autres victimes du système de la kafala. « La vie était un peu dure : je faisais le ménage à la maison… Mes employés ne respectaient pas le contrat, je n’avais pas de repos, pas à manger, pas toujours mon salaire, détaille-t-elle, le visage fermé. Je me sentais tellement fatiguée, je ne pouvais pas continuer à travailler comme ça. »

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Amélie David

Journaliste

 

 

 

 

Source : Afrique XXI

 

 

 

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