Mauritanie – Parlement INSAF : Et si on choisissait nos élus par tirage au sort ?

Notre jeune République en quête de stabilité fait face à des défis majeurs qui mettent à l’épreuve le fonctionnement démocratique de ses institutions. Au cœur de ces tensions se trouve la dynamique complexe entre les oppositions et le gouvernement. L’absence d’un véritable contre-pouvoir parlementaire soulève des inquiétudes quant à la transparence, la responsabilité et la représentation des intérêts des citoyens. Dans un cadre où le Parlement devrait jouer un rôle fondamental de contrôle et de délibération, la prédominance d’une majorité alignée sur l’exécutif questionne la capacité de cette institution à exercer une surveillance efficace des actions gouvernementales.

Les enjeux liés à la gouvernance, en particulier dans des secteurs stratégiques tels que la gestion des ressources naturelles, les infrastructures ou encore l’éducation, requièrent une attention soutenue et un débat public constructif. Toutefois, la tendance à marginaliser les voix dissidentes souligne les risques d’une démocratie affaiblie. Les tensions autour des mécanismes de contrôle parlementaire révèlent une nécessité pressante de renforcer les institutions démocratiques afin d’assurer une représentation équitable et une transparence dans le processus décisionnel.

Une Assemblée nationale à l’épreuve

 

Le pouvoir législatif, censé être le garant des intérêts du peuple, se trouve aujourd’hui au cœur d’une tension significative entre les oppositions et le gouvernement, notamment concernant la création de commissions d’enquêtes parlementaires. Cette initiative, soutenu par certains groupes parlementaires de l’opposition, vise à examiner des questions cruciales liées à la gestion des ressources et de l’avenir en commun, mais il fait face à des résistances politiques notables. Le rejet de ces initiatives par le président de l’Assemblée nationale lui-même, membre du même parti que le gouvernement, illustre les difficultés rencontrées par une assemblée soumise à l’emprise d’une majorité favorable à l’exécutif. Ce type de majorité, plutôt que de jouer son rôle de contre-pouvoir, devient souvent une simple chambre d’enregistrement, entérinant les décisions du gouvernement sans véritable débat.

Cela révèle une limite structurelle des systèmes démocratiques actuels que nous allons développer à la fin de cette contribution.

Parallèlement, ce même Parlement est parfois en décalage, pour ne pas dire en opposition, avec les aspirations populaires. Des événements récents, comme les manifestations contre l’adoption de la loi d’orientation dans les écoles privées, mettent en évidence un fossé entre les revendications de la population et les prises de position des élus ou du moins leur temporalité. Une telle dissonance affaiblit l’efficacité de l’institution législative et compromet sa capacité à représenter véritablement les intérêts de la société.

Le Rôle crucial des oppositions

 

Les oppositions, composées d’une pluralité de partis politiques et de mouvements sociaux, jouent un rôle fondamental dans le fonctionnement démocratique. Elles incarnent la diversité des idées et des aspirations de la population. Dans un régime démocratique, les oppositions sont appelées à apprécier les décisions du gouvernement et à formuler des alternatives concrètes. L’absence d’une opposition efficace peut conduire à des dérives autoritaires, où le gouvernement exerce un contrôle total sur les institutions.

Le refus du président de l’Assemblée de donner suite à la requête de création d’une commission d’enquête, justifié par la prétendue prérogative du bureau institutionnel à déterminer les priorités, constitue une entrave au bon fonctionnement du travail parlementaire. Cette posture alimente la perception que les initiatives des oppositions sont systématiquement étouffées. En matière de droit parlementaire, il est essentiel de rappeler que le principe d’accessibilité aux procédures parlementaires est fondamental. Conformément au règlement intérieur de l’Assemblée nationale, chaque député a le droit de demander la création de commissions d’enquête par l’intermédiaire de son groupe, et le rejet de ces demandes sans justification valable soulève des interrogations sur le respect des droits des parlementaires.

Les Défis à relever

 

Dans ce contexte, les oppositions se trouvent confrontées à plusieurs défis cruciaux. La nécessité de forger des alliances politiques solides devient impérieuse. Face à une majorité consolidée, la formation d’un front commun est essentielle, impliquant la collaboration de partis divers, malgré leurs divergences idéologiques. À cet égard, les coalitions d’opposition observées dans d’autres pays de la sous-région pourraient servir de modèle inspirant pour la Mauritanie.

Un autre défi majeur réside dans la capacité à mobiliser l’opinion publique. En s’associant à des organisations de la société civile, à des syndicats et à des mouvements citoyens, les oppositions peuvent renforcer leur légitimité et exercer une pression significative sur le gouvernement. Une communication efficace, par des campagnes de sensibilisation et des plateformes médiatiques, est essentielle pour faire entendre les préoccupations et les attentes des citoyens.

L’exploitation des outils institutionnels disponibles représente également un levier important. Même dans un Parlement dominé par le parti au pouvoir, des mécanismes tels que les interpellations, les motions et les demandes de commissions d’enquête peuvent être utilisés pour mettre en lumière les carences de la gestion gouvernementale. En s’inspirant des pratiques de démocraties consolidées, l’opposition peut recourir à des séances de questions au gouvernement pour obtenir des clarifications sur des sujets d’actualité.

Garantir un cadre démocratique

 

Les gouvernants, partout à travers le monde, cherchent presque toujours à s’assurer une majorité parlementaire qui leur est acquise, rendant difficile l’émergence d’un contrôle institutionnel fort. Cette dynamique freine le bon fonctionnement du pouvoir législatif, en neutralisant les débats nécessaires à une gestion transparente et équilibrée. Par ailleurs, il est peu probable qu’un exécutif et une majorité de couleurs politiques différentes soient élus simultanément, ce qui aurait pourtant l’avantage d’imposer une cohabitation productive. Dans l’idéal, un peuple exercé à la démocratie pourrait choisir un exécutif d’une couleur politique différente de celle de l’Assemblée, favorisant ainsi un parlement fort et indépendant, capable de servir de contrepoids.

Mais cet équilibre est difficilement réalisable dans la pratique. En pratique, les dynamiques partisanes, l’obsession pour le maintien au pouvoir et les intérêts électoraux empêchent souvent une telle cohabitation. Cette réflexion pousse à se demander si le système démocratique tel qu’il existe aujourd’hui ne devrait pas être réformé, afin de corriger ces déséquilibres structurels. L’introduction d’une plus forte dose de proportionnelle pourrait constituer une piste pour mieux représenter les minorités et favoriser le pluralisme au sein du Parlement. Une autre alternative, plus audacieuse, serait d’envisager des mécanismes de tirage au sort pour sélectionner une partie des représentants. Cette méthode, inspirée de pratiques antiques et d’expériences contemporaines, garantirait une diversité des opinions et limiterait l’influence des partis dominants sur les décisions parlementaires. Il s’agit d’une pratique largement documentée qui a déjà cours dans certains pays occidentaux.

 Il devient donc indispensable de repenser certains aspects du modèle représentatif, en introduisant volontairement des correctifs au système majoritaire afin de réduire l’emprise de l’exécutif sur le législatif.

Pour assurer l’existence d’un cadre démocratique sain, il est impératif de disposer d’institutions fortes et indépendantes. Cela passe par une justice impartiale, capable de protéger les élus de l’opposition contre toute forme de répression ou d’intimidation. La protection des droits des parlementaires, en vertu du droit international, notamment la résolution 54/182 des Nations Unies, souligne l’importance de garantir l’intégrité des élus dans l’exercice de leurs fonctions.

Enfin, le soutien de partenaires internationaux comme les groupes d’amitié parlementaires avec des pays partenaires, vigilants face aux dérives politiques, peut jouer un rôle clé dans la consolidation de l’État de droit en Mauritanie. Des organisations régionales pourraient apporter une aide précieuse pour surveiller le respect des engagements démocratiques par le gouvernement, contribuant ainsi à renforcer la légitimité des institutions mauritaniennes.

 

 

 

 

Aboubacry Lam

 

 

 

 

(Reçu à Kassataya.com le 16 octobre 2024)

 

 

 

 

Les opinions exprimées dans cette rubrique n’engagent que leurs auteurs. Elles ne reflètent en aucune manière la position de www.kassataya.com

Diffusion partielle ou totale interdite sans la mention : Source www.kassataya.com

Quitter la version mobile