Slate – Qui tue une vache ou mange du bœuf risque la mort. Le 24 août dernier, Aryan Mishra, 19 ans, a été tué d’une balle dans la tête par un gang de «protecteurs de vaches» qui l’ont pris pour un musulman transportant du bétail.
Ce jeune, de confession hindoue, voyageait à bord d’une voiture en direction de Faridabad, une ville de l’État de l’Haryana, dans le nord du pays, quand son véhicule a été pris d’assaut par les «gau rakshak», des fondamentalistes de la protection des vaches, animal sacré dans la religion hindoue, qui patrouillent et fouillent les véhicules suspects. En 2015, le meurtre d’Akhlaq, accusé de transporter des bovins alors qu’il s’agissait de chèvres, avait provoqué un véritable tollé dans le pays, sans que les auteurs du crime ne soient condamnés.
Dans une Inde gouvernée depuis 2014 par les nationalistes du BJP sous la houlette du Premier ministre Narendra Modi, l’idéologie du végétarisme –symbole de l’hindouisme pur– n’a rien d’étonnant et prend des formes violentes. Plusieurs rapports de Human Rights Watch pointent les méthodes de ces gangs, qui auraient tué au moins quarante-quatre personnes (dont trente-six musulmans) entre 2015 et 2018 et dont l’objectif non avoué est de cibler les musulmans.
«Les appels à la protection des vaches ont peut-être commencé comme un moyen d’attirer les votes des hindous, mais ils se sont transformés en un moyen d’attaquer violemment et de tuer des groupes minoritaires. Les autorités indiennes devraient cesser d’encourager ces attaques et de protéger les coupables», s’insurge Meenakshi Ganguly, directrice pour l’Asie du Sud à Human Rights Watch, dans l’un de ces rapports. Les dirigeants politiques affiliés au BJP ont rarement critiqué les lynchages et les ont même parfois encouragés. Comme Raman Singh, ministre en chef de l’État du Chhattisgarh, qui a promis de «pendre ceux qui tuent des vaches».
Des restaurateurs musulmans tenus de s’identifier
Toutes confessions religieuses confondues, l’Inde ne compte que 30% de végétariens; chez les musulmans, ils ne sont que 8%. Ce sont bien les musulmans que visent les fondamentalistes hindous avec des mesures discriminatoires. À commencer par les restaurateurs. En juillet dernier, les autorités de la ville de Muzaffarnagar, dans l’État de l’Uttar Pradesh (nord du pays), sont allées plus loin: elles ont obligé les restaurants musulmans se trouvant sur la route d’un pèlerinage hindou à inscrire sur la devanture le nom du propriétaire et des employés, pour soi-disant protéger les dévots qui doivent observer un régime alimentaire strictement végétarien.
Victimes de discrimination depuis déjà plusieurs années, certains ont pris les devants et ont vendu leur établissement à des hindous. C’est le cas de Shameem Ahmad qui confie à Carole Dieterich, journaliste au Monde: «La police passait son temps à nous harceler et, en tant que musulman, je n’étais plus capable de faire tourner mon établissement. Alors je l’ai vendu peu avant le pèlerinage à une amie hindoue.»
D’autres, pour éviter que la police ne revienne sans cesse, ont préféré fermer leur restaurant le temps du pèlerinage. Plusieurs États ont pris des mesures similaires pour stigmatiser les commerces tenus par des musulmans, mais la Cour suprême a interdit cette directive, estimant que les restaurateurs peuvent être tenus d’afficher la nourriture qu’ils servent, mais ne sont en aucun cas dans l’obligation de mentionner leur nom.
Des mesures régionales coercitives
En dix ans, la montée en puissance de l’idéologie «Hindutva», qui cherche à faire de l’Inde un pays hindou, a conduit à une augmentation du nombre de justiciers végétariens. Plusieurs États dirigés par le BJP ont tenté de prendre des mesures visant à limiter la consommation de viande et à sanctionner ceux qui ne respectent pas les vaches: fermeture de boucheries certains jours de la semaine, augmentation des peines de prison pour l’abattage de bovins, interdiction de vendre des produits alimentaires non végétariens à moins de 100 mètres des écoles et des temples hindous, etc. Heureusement, la plupart ont pu être annulées par les instances judiciaires régionales et nationales qui ont joué leur rôle de garde-fous.
Pauline Garaude – Édité par Louis Pillot
Source : Slate (France)