Au Sénégal, des archéologues de la traite négrière militent pour une approche décoloniale

Reportage - « Redécouvrir l’Afrique » (5/5). Une équipe de chercheurs explore l’île de Gorée, au large de Dakar, afin de rompre avec les récits hérités de la colonisation et entretenus par la recherche occidentale.

Le Monde   – Dans une pièce sombre de l’université Cheikh-Anta-Diop de Dakar, de grandes étagères montent jusqu’au plafond, sur lesquelles s’empilent des tiroirs poussiéreux mangés par les termites. Ils sont remplis de cailloux, de silex et de poteries provenant du Mali, de Mauritanie, du Niger et du Sénégal. Devant trônent un amas de caisses trouées et des malles en fer rouillées.

« Dans cette réserve se trouvent les plus anciennes collections de l’Institut fondamental d’Afrique noire [IFAN], recueillies avant même l’indépendance du pays, en 1960 », indique le professeur Ibrahima Thiaw, l’un des premiers archéologues sénégalais à s’être intéressé à la traite transatlantique des Noirs, entre le XVe et le XIXe siècle. L’IFAN a été créé en 1936, quand Dakar était la capitale de l’Afrique-Occidentale française.

 

A l’étage, dans une salle climatisée, des objets venant de l’île de Gorée, située au large de Dakar et symbole du commerce triangulaire des esclaves, sont stockés dans des armoires de rangement plus modernes. Face à elles, des piles de cartons s’affaissent.

« Des collègues européens ont déterré des objets pour les étudier. Cela leur a permis de publier de prestigieux articles scientifiques. Et après, ils nous ont laissé des malles d’objets difficiles à conserver », déplore Ibrahima Thiaw, qui dirige l’unité de recherche en ingénierie culturelle et en anthropologie (Urica), créée en 2017, et qui s’inscrit dans une approche décoloniale. Cette démarche – également présente dans d’autres disciplines comme la sociologie ou l’anthropologie – se distingue par une volonté de rompre avec les pratiques et les grilles d’analyse héritées de la colonisation.

 

« Certaines équipes continuent d’agir comme si nous étions toujours à l’époque coloniale », regrette-t-il. L’archéologue voudrait que les scientifiques occidentaux intègrent davantage la préservation du patrimoine et la formation des étudiants à sa conservation dans leurs budgets de recherches sur le continent africain.

 

 

Dans les salles de l’Urica, une petite dizaine d’étudiants travaillent sur leur ordinateur. Sur les murs, les visages d’Aline Sitoé Diatta (1920-1944), héroïne de la résistance sénégalaise contre la colonisation française, et de Frederick Douglass (1818-1895), abolitionniste américain, ont été peints par le collectif de graffeurs panafricains RBS Crew.

Lamine Badji, doctorant en archéologie, se penche sur des crânes de griots, ces conteurs qui transmettent oralement l’histoire de leur pays. Ces restes humains ont été récupérés dans des baobabs par un anthropologue belge en 1965. Jusqu’à l’interdiction de cette pratique par le président Léopold Sédar Senghor en 1962, les griots n’étaient pas enterrés dans les cimetières avec les autres habitants, mais à l’intérieur du tronc de l’un de ces arbres sacrés de l’Afrique de l’Ouest. « L’objectif est de “décoloniser” cette collection en reprenant son étude dans un prisme sénégalais, c’est-à-dire en veillant à respecter nos croyances et nos traditions. Il nous faut au préalable obtenir le consentement des familles car se pose la question éthique de leur exploitation scientifique », explique le doctorant.

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  (Dakar, correspondance)

 

 

 

Source : Le Monde  – (Le 12 octobre 2024

 

 

 

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