Anna Sylva, tout de blanc vêtue, une jeune femme de 29 ans rencontrée à Thiaroye-sur-Mer, s’est fait tatouer il y a quatre ans. D’ailleurs, c’est le nom de son partenaire qu’elle a joliment inscrit sur sa peau.

“C’est le nom de mon mari que je me suis fait tatouer sur le bras et sur la poitrine. Pour lui faire plaisir et lui montrer combien je l’aime”, confie-t-elle.

Si les femmes choisissent d’inscrire le nom de leur mari sur la peau, certains hommes aussi, sans hésitation, font de même. Laye Sylla, un jeune [vendeur] ambulant, porte fièrement le prénom de sa conjointe et celui de sa mère.

“C’est le prénom de ma mère que je me suis fait tatouer sur mon poignet droit et celui de ma femme sur mon avant-bras gauche. Je l’ai fait pour me souvenir d’elles à chaque instant de ma vie. Le fait de voir tout le temps leurs prénoms me motive, me donne du courage et me permet de me battre pour réussir et les rendre heureuses”, raconte ce jeune homme de 31 ans vêtu d’un tee-shirt noir, une casquette sur la tête et un sac à dos plein d’articles en bandoulière.

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Embouchant la même trompette [affirmant la même chose], Demba Diop, un jeune divorcé de 34 ans, a aussi beaucoup de tatouages sur le corps. Sur ses deux bras, ses deux avant-bras, sur le dos de sa main droite, sur ses épaules, on y remarque des écritures, des images d’oiseaux et de fleurs. À l’en croire, toutes les images et écritures sur sa peau ont une signification particulière.

“Cette date que vous voyez sur mon poignet représente le premier jour où j’ai rencontré ma petite amie, qui est devenue par la suite ma femme.”

Montrant une autre date avec le sourire aux lèvres, il soutient que celle-ci représente le jour de son mariage avec son ex-épouse. Malgré l’amour qu’il vouait à cette jeune fille, jusqu’à se faire tatouer son prénom, ils ont fini par se séparer, après trois ans de mariage et une petite fille en commun.

Malheureusement pour lui, il continue toujours de porter ce vieux souvenir, n’ayant pas assez de moyens pour enlever le tatouage, ou disons qu’il n’est pas encore prêt à le voir disparaître.

Des fleurs parce que c’est la mode

 

En effet, si certains savent la raison et la signification des dessins et écrits qu’ils se font tatouer sur leur corps, d’autres, généralement des suivistes, ignorent complètement la signification de leurs tatouages. Ils s’adonnent à ces pratiques parce que c’est à la mode à Dakar.

C’est le cas de Neyla Ba, une étudiante sénégalo-congolaise vivant à Dakar depuis 2019. Portant deux dessins de fleurs, l’un sur sa poitrine et l’autre sur son bras, elle raconte qu’elle s’est fait tatouer parce que sa copine l’a fait et qu’elle voit aussi d’autres filles le faire.

“Je ne sais pas ce que ça signifie, c’est juste des fleurs. J’ai vu certaines filles de Dakar se faire tatouer et ma copine aussi. Je l’ai trouvé magnifique et je me suis fait tatouer”, raconte-t-elle, avant de souligner qu’elle avait payé 15 000 F CFA [un peu moins de 23 euros] pour chaque tatouage. Rencontrée à Liberté 6 Extension, Neyla dit s’être tatouée en 2022.

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En outre, il faut également souligner qu’il y a des tatouages qui se font à base d’aiguilles et d’autres à l’aide d’une machine électrique. Mlle Ba dit s’être fait tatouer avec des aiguilles, affirmant que c’était une épreuve douloureuse. Mais Neyla soutient qu’elle a pu la supporter malgré la douleur, car c’est son choix et elle l’avait assumé.

Expliquant le processus du tatouage à l’aide d’aiguilles, elle raconte que le tatoueur fait bouillir les aiguilles dans une marmite environ quinze minutes avant de les utiliser. À l’en croire, c’est à peu près dix aiguilles qu’il va attacher à l’aide de fils et qu’il va par la suite appliquer sur la partie à tatouer en y ajoutant de l’encre et d’autres substances.

Désapprobation sociale

 

Certains sont attirés par l’aspect esthétique du tatouage. Aïcha Mbengue, une jeune femme vendeuse en cosmétique, portant un jean déchiré au niveau des cuisses, s’est fait tatouer au niveau du cou, sur les cuisses et sur la poitrine.

“Je me suis fait tatouer parce que c’est en vogue, c’est beau et c’est sexy. Quand on met des habits sexy, les tatouages nous rendent davantage sublimes et attirantes. Et moi, j’aime mettre des vêtements décolletés pour mettre certaines parties de mon corps en valeur”, soutient-elle dans un fou rire.

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Parmi les personnes tatouées rencontrées, certaines avouent que leurs parents n’ont pas apprécié au début, mais ont fini par se conformer à leur choix. C’est le cas d’Anna Sylva. D’après elle, lorsqu’elle s’est fait tatouer, elle est allée rendre visite à ses parents, mais, dit-elle, ils n’ont pas apprécié son acte.

“Mes parents n’étaient pas contents de mon tatouage, car ils estiment que ce n’est pas décent et qu’une personne issue d’une famille respectable ne doit pas faire cela. Je les comprends, mais le coup est déjà passé”, sourit-elle.

Demba Diop a eu plus de chance. “Mes parents n’ont pas ce problème. Ils n’ont rien dit sur mon tatouage”, raconte-t-il.

“95 % de mes clients sont des femmes”

 

Pratiquant le métier de tatoueur depuis plus de cinq ans, formé sur le tard, Jil Sanka explique comment il est devenu tatoueur et comment il le pratique.

Après avoir fréquenté un de ses amis qui faisait ce métier, raconte-t-il, ce dernier l’a inspiré et il a aussi commencé à en faire, car, poursuit-il, il était artiste et savait à la base dessiner. À ses débuts, soutient-il, il a commencé avec une machine artisanale que son ami lui avait offerte. Mais aujourd’hui le trentenaire utilise la machine électrique.

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“Ce sont les femmes qui se font tatouer le plus chez moi. Parmi mes clients, je peux dire que 95 % sont des femmes. Pour la plupart, elles se font tatouer le nom de leur partenaire”, dit-il, avant de révéler qu’elles se font tatouer sur toutes les parties de leur corps mêmes les plus intimes.

De même, fait-il savoir, certains souhaitent se faire tatouer des choses qui les ont marqués, telles que les dates de décès de personnes proches, le nom d’un être cher, des dates de mariage ou de naissance de leur premier enfant.

Ses clients proposent généralement leur propre croquis qu’ils souhaitent mettre sur leur corps. Les autres “ne savent même pas la signification de ce qu’ils souhaitent faire. Ils me demandent juste de leur faire de beaux tatouages”, dit-il.

Un marché libre

 

Si dans les quartiers résidentiels de Dakar le tatouage se fait à des prix exorbitants, dans la banlieue il n’y a pas de prix fixe.

“Ici, les gens aiment le tatouage mais ne veulent pas dépenser beaucoup d’argent. À Dakar il faut décaisser une importante somme d’argent pour se faire tatouer, en banlieue les clients nous proposent des prix misérables”, se désole le tatoueur.

D’ailleurs, fait-il savoir, certains quittent Dakar pour venir se faire tatouer en banlieue, car c’est moins cher. “Ici, on fait le grain de beauté à 2 000 FCFA [3 euros], alors qu’ailleurs ça peut coûter jusqu’à 7 000 FCFA [10,50 euros], voire plus. Pour le tatouage des sourcils, je le fais à 15 000 FCFA [un peu moins de 23 euros], alors que si c’est à Dakar ça peut coûter jusqu’à 30 000 FCFA [moins de 46 euros]. Pour les noms, ça dépend du nombre de lettres, du caractère et de la taille”, explique-t-il [Selon les études, le salaire moyen au Sénégal varie entre 100 000 et 150 000 FCFA (entre 150 et 228 euros)].

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Dans la même veine, Jil Sanka soutient qu’après le tatouage il n’y a pas de suivi. À l’en croire, il donne juste des consignes sur la façon de soigner la plaie pour éviter les infections.

“Pour l’entretien, je demande aux clients d’appliquer du beurre de karité ou de l’huile sur la plaie, lorsqu’ils vont prendre une douche, pour éviter que l’eau pénètre. Mais aussi pour éviter des infections”, explique-t-il, avant de préciser qu’il n’a jamais reçu de retour négatif sur son travail.

“C’est trop stylé et j’aime bien”

 

De la même manière que les tatouages, les piercings prennent aussi de l’ampleur au Sénégal. Si les hommes ne percent que leurs oreilles, les femmes, quant à elles, se font percer les lèvres, la langue, le nombril et d’autres parties de leur corps.

Âgée de 25 ans, Noëlle Charline Épembia affirme avoir percé beaucoup de parties de son corps. “J’ai percé mon nombril, mon nez ainsi que le cartilage de mon oreille”, partage-t-elle.

D’après la jeune étudiante, les trois premiers piercings qu’elle avait faits au niveau des oreilles s’étaient bien déroulés, sans grand souci. Celui du cartilage, par exemple, dit-elle, était moins douloureux et plus facile à guérir. Mais, soutient-elle, son piercing du nez a pris environ une année pour cicatriser. Malheureusement, regrette Noëlle, son piercing au nombril n’a pas tenu et est tombé en emportant un bout de peau.

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Son choix n’est pas guidé que par la mode. Les piercings “habillent le corps d’une femme, en particulier son visage”, argue-t-elle.

Embouchant la même trompette, Fatou Thiombane, une jeune femme de 28 ans, porte aussi beaucoup de piercings sur le corps. “Le fait de percer mon corps et y mettre des bijoux me donne du plaisir. J’ai percé ma langue, mon nez, etc. C’est trop stylé et j’aime bien”, raconte cette résidente des Parcelles-Assainies [l’une des 19 communes de la ville de Dakar, au nord-est de la capitale].

À en croire Mlle Thiombane, le piercing à la langue est plus douloureux. “Lorsque je me suis fait percer la langue, pendant presque deux semaines je ne pouvais pas manger des aliments solides. Ma langue était enflée et j’avais du mal à avaler”, a-t-elle narré.

Il n’y a aucune loi réglementaire interdisant les tatouages et les piercings au Sénégal, bien qu’ils présentent des risques graves.