Manger un chat ou un chien est-il plus grave que de déguster un lapin à la moutarde ?

« Au bestiaire ! ». La fausse rumeur répandue par Donald Trump concernant les immigrés de Springfield, accusés de voler des chiens et des chats pour les manger, puise dans un imaginaire raciste ancien.

L’Epoque – Le 10 septembre, en plein débat contre son adversaire, Kamala Harris, Donald Trump s’est fendu d’une sortie pour le moins surprenante. « A Springfield, ils mangent les chiens, les gens qui viennent, ils mangent les chats. Ils mangent les animaux de compagnie des habitants », a assené le candidat à la présidentielle américaine. « Ils », ce sont les immigrés haïtiens habitant cette petite ville de l’Ohio.

Depuis, cette affirmation a eu beau être formellement démentie par la police locale, le maire et le gouverneur de Springfield (tous deux républicains), la communauté haïtienne de la ville subit une recrudescence d’insultes et de menaces. Alors que l’intox est devenue virale sur les réseaux sociaux, la chaîne CBS révélait, dimanche 22 septembre, un sondage selon lequel 69 % des électeurs de l’ancien président considéraient cette fake news comme « probablement/certainement vraie ».

La stratégie de M. Trump s’avère d’autant plus payante que les Américains entretiennent un lien particulièrement fort avec leurs animaux de compagnie. Ainsi, selon une étude menée en juillet 2023 par le Pew Research Center, 62 % d’entre eux vivent avec au moins un animal domestique. Parmi eux, 97 % affirment le considérer comme un membre de leur famille. « Donald Trump tape en plein dans l’imaginaire raciste de l’immigré barbare, explique au Monde Grace Ly, écrivaine et militante antiraciste. L’idée est de dire : ils peuvent vivre ici, travailler, mais au fond ce sont des sauvages, ils ne seront jamais comme nous. » Ce type de stigmatisation ne concerne pas que les Haïtiens.

En tant que Française d’origine sino-cambodgienne, Grace Ly raconte dans son livre Jeune fille modèle (Fayard, 2018) les nombreuses idées préconçues concernant, notamment, l’alimentation des Asiatiques, suspectés de manger les animaux domestiques. Ces préjugés sont communs aux Etats-Unis et à l’Europe. « Mes parents tenaient un restaurant chinois, et on me demandait souvent ce qu’il y avait dans les nems, si c’était vrai qu’il y avait du chien dedans, raconte-t-elle. Beaucoup de gens ont en tête les “appartements raviolis” des reportages de M6, avec des immigrés cuisinant clandestinement des repas dans des logements insalubres, dans des conditions d’hygiène déplorables. »

De là à penser que les Asiatiques cuisinent clandestinement nos boules de poils préférées, il n’y a qu’un pas, franchi par certains. Ainsi, dans un village de l’Isère, une femme d’origine vietnamienne et son mari ont porté plainte contre leur voisine pour harcèlement. Celle-ci, persuadée qu’ils cherchent à capturer son chat pour le manger, vient taper quotidiennement à leur porte depuis quatre ans, en criant : « Voleurs de chat ! »

« Déterminisme culturel »

On le voit, les Asiatiques continuent d’être associés à une coutume alimentaire prétendument barbare, alors même qu’en Europe un autre animal de compagnie se retrouve régulièrement dans nos assiettes : le lapin. Il est vrai que sa présence, à la fois à la maison et à table, est moins marquée que celle de ses congénères. Pour autant, on constate que le sauvage est toujours, invariablement, l’autre : le ragoût de chat servi dans un restaurant en Chine paraîtra monstrueux au Français qui se régale d’un lapin à la moutarde.

« La stigmatisation de l’autre se focalise souvent sur les pratiques intimes, au premier rang desquelles l’alimentation et les pratiques sexuelles, analyse Christophe Lavelle, spécialiste de l’alimentation, chercheur au CNRS et au Muséum national d’histoire naturelle. Evidemment, tout cela relève uniquement du déterminisme culturel. Si, en Occident, nous avons atteint aujourd’hui un confort alimentaire qui nous dispense de manger des animaux domestiques, pendant la Commune et la première guerre mondiale, par exemple, les Français ont mangé des chiens, des chats, et même des rats. »

De fait, la consommation de chiens et de chats en Asie s’explique par leur domestication plus tardive. Pour autant, la consommation de viande féline et canine reste minoritaire en Chine. Elle se pratique essentiellement dans les régions rurales : difficile de trouver un restaurant servant du chien à Shanghaï, à Pékin ou à Hongkong. La pratique semble plutôt relever du folklore ou de l’exception, comme en France la consommation d’escargots ou de cuisses de grenouilles, qui fait pourtant partie intégrante de l’image des Français à l’étranger.

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Source : L’Epoque (Le Monde)

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