Enquête+ – Aujourd’hui, les tatouages et les piercings sont en vogue au Sénégal, en particulier à Dakar et sa banlieue. Beaucoup de jeunes se font tatouer ou percer le corps. Si pour certains c’est juste pour suivre la mode, pour d’autres, c’est bien plus que cela. Reportage.
Le tatouage et le piercing sont pratiqués dans beaucoup de pays et à diverses époques. Au Sénégal, ces dernières années, le tatouage est devenu populaire. Les jeunes, hommes et femmes, se font tatouer pratiquement sur toutes les parties de leur corps. Certains se font tatouer le nom de leur partenaire, de leurs parents, là où d’autres choisissent de dessiner sur leur peau des animaux, des fleurs et autres. Il en est de même pour les piercings. Aujourd’hui, on voit au Sénégal des femmes qui portent des piercings sur la langue, sur le nombril, sur les lèvres, sur les sourcils, sur le nez, etc.
Anna Sylva, de tout blanc vêtu, une jeune femme de 29 ans rencontrée à Thiaroye-sur-Mer, s’est fait tatouer, il y a quatre ans. D’ailleurs, c’est le nom de son partenaire qu’elle a joliment inscrit sur sa peau. « C’est le nom de mon mari que je me suis fait tatouer sur le bras et sur la poitrine. Ce, dit-elle, pour lui faire plaisir et lui montrer combien je l’aime », confie-t-elle. Un amour pour la vie, se dit-on. Car garder le nom d’un homme avec qui on est séparé peut être gênant. Mais disons que seul le présent compte.
Si les femmes choisissent de dessiner le nom de leur mari sur la peau, certains hommes aussi, sans hésitation, font de même. Laye Sylla, un jeune ambulant, porte fièrement le prénom de sa conjointe et celui de sa mère. « C’est le prénom de ma mère que je me suis fait tatouer sur mon poignet droit et celui de ma femme sur mon avant-bras gauche. Je l’ai fait pour me souvenir d’elles à chaque instant de ma vie. Le fait de voir tout le temps leurs prénoms me motive, me donne du courage et me permet de me battre pour réussir et les rendre heureuses », raconte ce jeune homme de 31 ans vêtu d’un t-shirt noir, une casquette sur la tête et un sac à dos plein d’articles en bandoulière. On l’a rencontré au marché hebdomadaire de Boune, appelé « marché samedi ». Embouchant la même trompette, Demba Diop, un jeune divorcé de 34 ans, a aussi beaucoup de tatouages sur son corps. Sur ses deux bras, ses deux avant-bras, sur le dos de sa main droite, sur ses épaules, on y remarque des écritures, des images d’oiseaux et de fleurs.
À l’en croire, toutes les images et écritures sur sa peau ont une signification particulière. « Cette date que vous voyez sur mon poignet représente le premier jour où j’ai rencontré ma petite amie qui est devenue par la suite ma femme ». Montrant une autre date avec le sourire aux lèvres, il soutient que celle-ci représente le jour de son mariage avec son ex-épouse. Malgré l’amour qu’il vouait à cette jeune fille, jusqu’à se faire tatouer son prénom, ils ont fini par se séparer, après trois ans de mariage et une petite fille en commun. Malheureusement pour lui, il continue toujours de porter ce vieux souvenir, car n’ayant pas assez de moyens pour enlever le tatouage ou disons qu’il n’est pas encore prêt à le voir disparaître.
Quand on se fait tatouer juste pour la tendance
En effet, si certains savent la raison et la signification des graphismes et écrits qu’ils se font tatouer sur leur corps, d’autres, généralement des suivistes, ignorent complètement la signification de leurs tatouages. Ils s’adonnent à ces pratiques parce c’est à la mode à Dakar. C’est le cas de Neyla Ba, une étudiante sénégalo-congolaise vivant à Dakar depuis 2019. Portant deux dessins de fleurs, l’une sur sa poitrine et l’autre sur son bras, elle raconte qu’elle s’est fait tatouer parce sa copine l’a fait et qu’elle voit aussi d’autres filles le faire. « Je ne sais pas ce que ça signifie, c’est juste des fleurs. J’ai vu certaines filles de Dakar se faire tatouer et ma copine aussi. Je l’ai trouvé magnifique et je me suis fait tatouer », raconte-t-elle, avant de souligner qu’elle avait payé 15 000 F CFA pour chaque graphisme. Rencontrée à Liberté 6 Extension, Neyla dit s’être tatouée en 2022.
En outre, il faut également souligner qu’il y a des tatouages qui se font à base d’aiguilles et d’autres à l’aide d’une machine électrique. Mademoiselle Ba dit s’être fait tatouer avec des aiguilles, affirmant que c’était une épreuve douloureuse. Mais Neyla soutient qu’elle a pu supporter malgré la douleur, car c’est son choix et elle l’avait assumé. Expliquant le processus du tatouage à l’aide d’aiguilles, elle raconte que le tatoueur fait bouillir les aiguilles dans une marmite, environ quinze minutes avant de les utiliser. À l’en croire, c’est à peu près dix aiguilles qu’il va attacher à l’aide de fils et qu’il va par la suite appliquer sur la partie à tatouer en y ajoutant de l’encre et d’autres substances.
Certains sont attirés par l’aspect esthétique du tatouage. Aïcha Mbengue, une jeune femme vendeuse en cosmétique, portant un jean déchiré au niveau des cuisses, s’est fait tatouer au niveau du cou, sur les cuisses et sur la poitrine. « Je me suis fait tatouer, parce que c’est en vogue, c’est beau et c’est sexy. Quand on met des habits sexys, les tatouages nous rendent davantage sublimes et attirantes. Et moi, j’aime mettre des vêtements décolletés pour mettre certaines parties de mon corps en valeur », soutient-elle dans un fou rire.
Parmi les personnes tatouées rencontrées, certaines avouent que leurs parents n’ont pas apprécié au début, mais ont fini par se conformer à leur choix. C’est le cas d’Anna Sylva. D’après elle, lorsqu’elle s’est fait tatouer, elle est allée rendre visite à ses parents, mais, dit-elle, ils n’ont pas apprécié son acte. « Mes parents n’étaient pas contents de mon tatouage, car ils estiment que ce n’est pas décent et qu’une personne issue d’une famille respectable ne doit pas faire cela. Je les comprends, mais le coup est déjà passé », sourit-elle. Demba Diop a eu plus de chance. « Mes parents n’ont pas ce problème. Ils n’ont rien dit sur mon tatouage », raconte-t-il.
Conscients des risques du tatouage, certains jeunes font fi des dangers. « Je suis bien conscient que le tatouage peut donner le cancer, mais quand on aime quelque chose on devient aveugle et sourd », explique Neyla Ba. Pour sa part, Demba Diop estime qu’avec ou sans le tatouage, si Dieu dit qu’une personne sera atteinte du cancer, elle le sera. Quel fatalisme ! « Il y a beaucoup de personnes qui n’ont jamais fait le tatouage, mais qui sont atteintes du cancer », justifie-t-il.
« 95 % de mes clients sont des femmes »
Pratiquant le métier de tatoueur depuis plus de cinq ans, formé sur le tard, Jil Sanka explique comment il est devenu tatoueur et comment il le pratique. Après avoir fréquenté un de ses amis qui faisait ce métier, raconte-t-il, ce dernier l’a inspiré et il a aussi commencé à en faire, car, poursuit-il, il était artiste et savait à la base dessiner. À ses débuts, soutient-il, il a commencé avec une machine artisanale que son ami lui avait offerte. Mais aujourd’hui le trentenaire utilise la machine électrique. Trouvé devant sa place avec ses amis au marché Zinc de Pikine, il soutient que la majeure partie de ses clients sont des femmes. « Ce sont les femmes qui se font tatouer le plus chez moi. Parmi mes clients, je peux dire que 95 % sont des femmes. Pour la plupart, elles se font tatouer le nom de leur partenaire », dit-il, avant de révéler qu’elles se font tatouer sur toutes les parties de leur corps mêmes les plus intimes. De même, fait-il savoir, certains souhaitent se faire tatouer des choses qui les ont marqués tels que les dates de décès de personnes proches, le nom d’un être cher, des dates de mariage ou de naissance de leur premier enfant.
Fatima Zahara Diallo
Source : Enquête+
Diffusion partielle ou totale interdite sans la mention : Source www.kassataya.com