Comment le vieillissement bouleverse nos sociétés

« Un monde de vieux ». Alors que le début de la génération du baby-boom atteint ses 80 ans, les pays développés dans leur ensemble sont touchés par un vieillissement historique, accéléré par la récente chute de la natalité. Le choc budgétaire – retraites, santé… – sera majeur.

Le Monde – En mars 2024, le conglomérat Oji Holdings a annoncé qu’il cessait de fabriquer des couches pour bébés dans ses usines japonaises. Il préfère désormais se concentrer sur le marché nettement plus lucratif des couches pour adultes. Toujours au Japon, « Tous mes amis étrangers trouvent que les Escalator sont incroyablement lents, s’amuse Jesper Koll, un économiste allemand qui vit dans le pays depuis 1985. C’est parce qu’il y a une décennie, de nouvelles règles ont demandé de réduire leur vitesse de 15 %, afin de faciliter la vie des personnes âgées. »

Bienvenue dans notre avenir à tous. Le Japon est le pays le plus vieux au monde, presque 30 % de sa population a plus de 65 ans. L’Italie – deuxième sur le podium – va atteindre le même niveau au milieu des années 2030, l’Allemagne la décennie suivante, et l’ensemble des pays développés y seront au cours de la décennie 2060, selon les projections des Nations unies.

 

En France, un peu moins touchée par le phénomène grâce à une natalité légèrement supérieure, ce serait plutôt vers les années 2070, même si les estimations sont incertaines. Dans l’ensemble des pays les plus riches, la population a atteint un pic de 1,3 milliard d’habitants et a entamé un recul progressif pour perdre environ 100 millions d’habitants d’ici à la fin du siècle, selon les Nations unies. Au Japon, la population totale recule depuis quinze ans, désormais au rythme de 2 300 personnes par jour.

« C’est d’abord une bonne nouvelle »

 

Economiquement, ce phénomène démographique, lent mais inéluctable, représente un chamboulement majeur. « C’est d’abord une bonne nouvelle, tient à rappeler Vincent Touzé, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). Cela veut dire qu’on vit plus longtemps, y compris en bonne santé. Mais il faut quand même en gérer les conséquences. »

M. Koll insiste lui aussi sur l’un des aspects positifs : « Au Japon, le rapport de force entre les salariés, moins nombreux qu’avant, et les entreprises s’est retourné. Dans une entreprise comme Mitsubishi, les jeunes suppliaient d’obtenir un poste il y a encore quelques années ; aujourd’hui, ils demandent ce que l’entreprise peut leur apporter. » Les salaires, autrefois purement basés sur l’ancienneté, sont plus régulièrement liés aux performances, et les Japonais changent désormais plus souvent d’entreprise au cours de leur carrière. La participation des femmes au marché du travail a également fortement augmenté. « Mais l’immense point noir, reconnaît M. Koll, vient des finances publiques. »

Le Japon, avec une dette de 260 % du produit intérieur brut (PIB), indique le chemin sur lequel sont engagés la plupart des pays européens. Selon les calculs de la banque britannique HSBC, la dette du Royaume-Uni devrait augmenter de 35 points de PIB d’ici au milieu du siècle sous le seul effet démographique, passant donc de près de 100 % du PIB aujourd’hui à 135 %. Pour les pays de la zone euro, la hausse serait de 25 points en moyenne d’ici à 2045, et de 30 points pour la France, selon la Commission européenne. Alors que l’endettement est déjà une question majeure et que des dépenses dans la défense et la transition climatique sont urgentes, les arbitrages budgétaires s’annoncent tendus.

 Moins de recettes fiscales »

 

« Economiquement, le vieillissement de la population a trois principaux effets : un ralentissement de la croissance, une hausse des dépenses publiques et des risques politiques et sociaux », résume Ed Parker, de l’agence de notation Fitch. Le ralentissement de la croissance est mécanique : la population active, c’est-à-dire celle qui a un emploi, diminue. En dix ans, le Japon a perdu en moyenne chaque année 1 % de sa population âgée de 16 ans à 65 ans. L’Italie, avec un recul autour de 0,5 % par an, a perdu environ 2 millions de personnes dans cette catégorie d’âge sur la même période. Le phénomène est d’une ampleur similaire en l’Allemagne. « Sauf en cas de forte hausse de la productivité, moins de gens qui travaillent signifie moins de croissance, continue M. Parker. Et cela entraîne donc moins de recettes fiscales. »

Dans le même temps, la hausse des dépenses publiques est tout aussi mécanique. Il faut payer plus de retraites, plus de frais pour la santé et pour la prise en charge de la dépendance. La Commission européenne a fait ses calculs : elle estime qu’en moyenne, dans la zone euro, les pays devront dépenser 1,2 % de PIB supplémentaire par an en 2040 à cause de l’effet démographique. « Moins de gens doivent financer plus de dépenses », résume M. Parker.

Un scénario de chute démographique rapide

 

Le vieillissement n’est pas nouveau, mais il s’est « accéléré » depuis la pandémie de Covid-19. « La chute de la natalité qu’on a vue depuis quatre ou cinq ans a été particulièrement forte », souligne James Pomeroy, économiste à HSBC. Longtemps, les démographes ont pensé que la natalité chuterait progressivement vers le niveau du Japon, autour de 1,2 enfant par femme, ce qui est déjà très loin du taux de remplacement naturel de 2,1. Mais la Corée est désormais à 0,7. « A ce rythme, la population coréenne va chuter des deux tiers d’ici à la fin du siècle, souligne M. Pomeroy. On parle d’un problème démographique dont pas grand monde n’a encore pris la mesure. »

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