Afrique XXI – –Série (3) · En l’espace de quelques années, le Mali, le Burkina Faso et le Niger, trois pays considérés comme relevant du « pré carré » français, ont rompu leur coopération militaire et diplomatique avec l’ancienne puissance coloniale et se sont rapprochés de la Russie, sur fond de guerre contre les groupes djihadistes. Une révolution diplomatique qui a suscité des espoirs de changement, mais qui vire parfois au cauchemar. Direction le Burkina Faso dans ce troisième épisode.
« Nous ne sommes pas là pour le pouvoir. Nous avons un programme de douze mois dans lequel nous allons résoudre de petits problèmes logistiques dans le respect des valeurs humaines. » Après que le capitaine Ibrahim Traoré (« IB ») a annoncé par ces mots sa prise de pouvoir à Ouagadougou le 30 septembre 2022, il a été immédiatement félicité pour son action par Evgueni Prigojine (alors encore vivant), fondateur du groupe paramilitaire russe Wagner. Prigojine l’a qualifié de « fils vraiment digne et courageux de sa patrie ».
Celui qui était alors encore proche du président russe, Vladimir Poutine, a également déclaré, à cette occasion, que le règne de Traoré serait un changement bienvenu car « le peuple du Burkina Faso était auparavant sous le joug des colonialistes, qui volaient le peuple, soutenaient les bandits, et ont causé beaucoup de torts à la population locale ». Le dirigeant de Wagner n’a fourni aucune preuve pour étayer son accusation selon laquelle les anciens colonisateurs français auraient soutenu les bandes armées et les djihadistes qui sévissent dans le pays et la région depuis plusieurs décennies, mais sa déclaration positionnait sans équivoque le groupe paramilitaire russe, alors encore privé, comme une possible alternative.
Les campagnes prorusses sur les réseaux sociaux visant à ouvrir la voie à la nouvelle junte de Traoré avaient débuté des mois avant l’arrivée au pouvoir du jeune capitaine. Durant neuf mois, entre janvier et septembre 2022, des centaines de messages avaient ciblé le dirigeant de l’époque, le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba, le qualifiant, lui et sa junte, d’alliés « lâches » de la France et les accusant de « manquer d’intérêt pour l’exploration » de nouveaux partenariats avec des alliés anticoloniaux comme la Russie. Ces mêmes campagnes vantaient simultanément le rôle prétendument positif de Wagner dans la lutte contre le banditisme et le « terrorisme » au Mali.
Une diversification « nécessaire »
En décembre 2023, devant l’Assemblée législative de transition, le nouveau Premier ministre, Apollinaire Kyelem de Tambela, a annoncé l’appui de la Russie dans le cadre d’une réorganisation de l’armée burkinabè, et notamment la création de nouveaux bataillons d’intervention rapide. La Chine et la Turquie vont également apporter leur aide, a-t-il ajouté. « Face au blocus imposé par certains États occidentaux [en réalité, les sanctions décidées par la Cedeao, notamment après le coup d’État, NDLR], la diversification était non seulement appropriée, mais nécessaire », a-t-il déclaré au Parlement.
Un plan de recrutement de 50 000 Volontaires pour la défense de la patrie (VDP), des civils, avait déjà commencé avant la prise de pouvoir d’« IB ». Il a été instauré rapidement après le coup d’État. Les civils volontaires ont été exhortés à rejoindre les brigades pour aller combattre les djihadistes. Mais à mesure que la lutte contre les djihadistes s’est intensifiée, le respect des droits humains a été sapé. Le communiqué n° 3 de la junte en date du 30 septembre 2022, le jour même du coup d’État, déclarait déjà que « toute activité politique [était] suspendue », ainsi que « toute activité des organisations de la société civile ». Ces dernières ont rapidement signalé un nombre croissant d’arrestations, de détentions et d’enlèvements de militants.
Un an plus tard, en octobre 2023, les syndicats et des organisations de la société civile ont voulu commémorer l’anniversaire du soulèvement populaire qui avait eu lieu en octobre 2014. Les partisans de la junte sont immédiatement sortis pour menacer publiquement les initiateurs, en exhibant des machettes sur les réseaux sociaux : « Nous attendons de pied ferme ces gens. » Le nouveau gouvernement ne s’est pas opposé aux menaces, et la commémoration n’a pas eu lieu.
Au même moment, la junte a signé un accord avec la Russie pour la construction d’une centrale nucléaire afin de « couvrir les besoins énergétiques de la population », dont moins d’un quart a accès à l’électricité. Le contrat devait être suivi, selon les autorités, « du don de 25 000 tonnes de blé, d’un détachement de sécurité personnel pour le chef de la junte, le capitaine Ibrahim Traoré, et de 100 paramilitaires ».
Journaliste sous pseudonyme
Source : Afrique XXI
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