
Le Monde – Un nouveau cap a été franchi dans la répression des libertés fondamentales au Burkina Faso. Depuis mercredi 14 août, cinq magistrats burkinabés sont détenus illégalement par le régime militaire du capitaine Ibrahim Traoré, et risquent d’être envoyés de force au front pour lutter contre les groupes djihadistes, selon plusieurs sources judiciaires et sécuritaires. Deux autres magistrats sont aussi menacés du même sort.
Tous avaient été « réquisitionnés » le 9 août par la junte, selon la terminologie employée par cette dernière pour qualifier l’enrôlement forcé des voix discordantes auquel elle se livre, depuis son arrivée au pouvoir par un putsch en septembre 2022. Consultés par Le Monde Afrique, certains des ordres de réquisition adressés par écrit par le régime à ces magistrats, parmi lesquels figurent quatre procureurs, deux substituts et un juge d’instruction, leur ordonnent de « participer aux opérations de sécurisation du territoire » auprès d’une unité militaire de Kaya, dans le nord du pays, pour une durée « renouvelable » de trois mois, entre le 14 août et le 13 novembre.
La justice burkinabée avait pourtant enjoint à « l’Etat burkinabé de ne donner aucun effet » à la plupart de ces ordres, qualifiés de « manifestement illégaux ». Dans une ordonnance de référé datée de mardi, dont Le Monde Afrique a obtenu copie, le tribunal de Bobo-Dioulasso, statuant sur les ordres de réquisition de deux magistrats de cette ville de l’ouest du Burkina Faso, a en effet estimé que ces procédures « portent atteinte aux libertés fondamentales des personnes concernées ».
« Plus aucune limite »
En vain. Cinq des sept magistrats réquisitionnés en août sont aujourd’hui détenus par la junte, sans que l’on sache s’ils ont d’ores et déjà ou non été envoyés au front, comme avant eux des dizaines de journalistes, de lanceurs d’alerte, de défenseurs des droits humains et de politiques jugés critiques par les autorités. « C’est la première fois que des magistrats sont enrôlés de force, dénonce une source judiciaire burkinabée. Ça montre que le régime se durcit et qu’il n’a pas plus aucune limite. On a atteint un seuil de non-retour, pour entrer dans une phase de répression tous azimuts ».
Le réel motif des réquisitions de ces magistrats désormais portés disparus est souligné dans une requête adressée par les avocats de deux d’entre eux aux tribunaux afin d’obtenir en vain leur libération. Consultée par Le Monde Afrique, celle-ci, datée du 13 août, précise que « ces décisions font suite à des poursuites exercées » par ces magistrats « contre des personnes dites de soutien au régime ». « Il est donc on ne peut plus clair que les réquisitions traduisent la volonté affichée par les autorités militaires de sanctionner tout magistrat qui ose poursuivre un de leurs soutiens, quel que soit son degré de délinquance », ajoutent les avocats.
Ainsi, deux des procureurs ont été réquisitionnés pour avoir instruit le dossier de proches du régime impliqués dans des activités d’orpaillage illégales et de vol de bétail, un autre « pour avoir “osé” instruire aux officiers de police judiciaire d’enquêter sur des plaintes des citoyens burkinabés, notamment pour des faits de disparition forcées de membres de leur famille », ont dénoncé trois syndicats de la magistrature dans un communiqué publié jeudi.
Source : Le Monde
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