Plus de quarante mille barrières disposées dans les rues de Paris, des périmètres de sécurité interdisant tout accès à la Seine non justifié par un QR code, des centaines de patrouilles de policiers et de gendarmes, des stations de métro fermées : rarement, en temps de paix, la capitale française aura connu une telle ambiance sécuritaire.
A cinq jours de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques et paralympiques (JOP), prévue vendredi 26 juillet, le risque zéro apparaît plus que jamais comme la ligne de conduite des pouvoirs publics. Le bon déroulement de la manifestation sportive la plus suivie au monde ne tient pas seulement à l’anticipation du risque terroriste ou la maîtrise de la délinquance. Il en va, prévenait déjà Emmanuel Macron, le 19 juillet 2023, face au gouvernement réuni pour un comité olympique et paralympique, de l’« image de la France ».
Un an jour pour jour plus tard, dans une salle de réunion du troisième étage de la Préfecture de police de Paris, centre névralgique des opérations situé sur l’île de la Cité, le préfet de police, Laurent Nuñez, assure que « tout se passe de façon nominale. A ce stade, nous n’avons pas de crainte spécifique, mais nous restons évidemment vigilants ». Mais le « PP » ne peut s’empêcher de jeter un coup d’œil par la fenêtre, pour vérifier le débit des filtrages instaurés depuis la veille avec l’entrée en vigueur, le 18 juillet à 5 heures, du périmètre de sécurité intérieure et lutte contre le terrorisme.
Le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, accompagné du préfet de police de Paris, Laurent Nuñez (à sa gauche), lors d’une réunion sur l’activation du périmètre antiterroriste, à la Préfecture de police de Paris, le 17 juillet 2024.
Jusqu’à la fin de la cérémonie d’ouverture, les seules personnes – riverains, travailleurs permanents ou temporaires – munies du Pass Jeux, délivré en ligne sur la foi d’un justificatif, sont autorisées à avoir accès aux quais de Seine. Un secteur plus large, dit « périmètre rouge », délimite une zone où la circulation des véhicules est, elle aussi, limitée aux conducteurs accrédités.
Contre la délinquance, des effectifs élevés et une montée en charge progressive
La machinerie sécuritaire des Jeux olympiques est sans doute la plus importante jamais mise en œuvre en France en période de paix. Policiers et gendarmes ont été appelés – moyennant le versement de primes pour les premiers – à assurer un taux de présence de 100 % tout au long de la durée des Jeux. A Paris, détaille M. Nuñez, « 70 % des effectifs des commissariats sont mis à la disposition de la DSPAP [direction de la sécurité de proximité de l’agglomération parisienne] et de la DOPC [direction de l’ordre public et de la circulation], mais les 30 % restants travailleront aussi au bénéfice des Jeux tant leur emprise est énorme sur l’agglomération ».
Les forces de sécurité ont commencé à verrouiller de grandes parties du centre de Paris, le 18 juillet 2024, avant la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques la semaine suivante sur la Seine.
Ils seront donc 30 000 en moyenne chaque jour dans les rues de la capitale (45 000 les jours de pic), sans compter plus de 20 000 agents de sécurité mobilisés et 10 000 militaires de l’opération « Sentinelle », à veiller aux accès à la cérémonie d’ouverture, patrouiller dans les rues, se tenir prêts à répondre à une éventuelle attaque terroriste, prévenir et traiter la délinquance.
Le travail effectué en amont par la Préfecture de police a pu susciter parfois des polémiques sur les arrière-pensées d’une politique de « nettoyage social » par le « harcèlement policier » à l’encontre des personnes à la rue, selon les mots employés par le collectif Le Revers de la médaille, dans un rapport de juin. Mais il s’est révélé payant, à en croire les données dévoilées par la Préfecture de police, le 17 juillet : celles-ci révèlent une chute inédite des vols avec violences dans les transports en commun (– 20,5 % sur le premier semestre, par rapport à la même période en 2023), en raison de la visibilité des forces de l’ordre avec la multiplication des patrouilles, au nombre de 700 quotidiennement pour la durée des Jeux.
Cette préparation du terrain s’est doublée, depuis la mi-juin, d’une montée en charge progressive du dispositif humain et technique, avec l’arrivée des premiers renforts de police dans la capitale, mais, aussi, l’installation de quelque 44 000 barrières de sécurité, qui interdisent l’accès à certaines zones et compliquent sérieusement les déplacements. Le 16 juillet, l’adjoint (Europe Ecologie-Les Verts) aux mobilités à la Mairie de Paris, David Belliard, a demandé au préfet de police de « reconsidérer certaines emprises et neutralisations de l’espace public pour permettre, toutes les fois où c’est possible, la meilleure circulation possible et sécurisée des piétons et des cyclistes ».
Pour les menaces terroristes et cyber, une anticipation et une surveillance particulières
Si le risque d’attaques terroristes d’ampleur coordonnées depuis l’étranger est jugé peu probable, la menace dite « endogène », perpétrée sur commande par des « proxys », des individus déjà présents sur le territoire national, est plus difficile à appréhender. Le ministre démissionnaire de l’intérieur, Gérald Darmanin, avait annoncé que 1 million d’enquêtes administratives visant toute personne censée avoir un lien avec les Jeux olympiques – salariés de sociétés de sécurité, mais aussi bénévoles – seraient réalisées.
L’essentiel de ce travail, mené par le service national des enquêtes administratives de sécurité, consiste à vérifier si des demandeurs d’accréditation figurent dans des fichiers de police. Le 20 juillet, dans un entretien accordé au Journal du dimanche, Gérald Darmanin annonçait que 960 000 enquêtes avaient été réalisées, menant à la mise à l’écart de 4 340 profils suspects, qui ont abouti par ailleurs à la détection de « 257 islamistes radicaux, 181 membres de l’ultragauche et 95 de l’ultradroite ». D’après lui, l’objectif du million d’enquêtes sera réalisé avant la cérémonie d’ouverture.
Le 18 juillet, l’Agence nationale de sécurité des systèmes d’information (Anssi) s’est dite « confiante » à l’approche des Jeux, en rappelant que l’échelle des attaques numériques – en 2021, 450 millions d’attaques avaient été recensées lors des Jeux de Tokyo, qui s’étaient pourtant déroulés à huis clos – était telle qu’il apparaissait « irréaliste » de prétendre pouvoir toutes les éviter. L’objectif est plutôt « de faire en sorte que la plupart des attaques échouent et que l’on réagisse vite et bien face aux attaques qu’on ne pourra pas éviter pour en limiter l’impact ». Si les attaques par rançongiciels et, dans une moindre mesure, celles provenant de milieux activistes devraient concentrer le gros de son activité, l’Anssi anticipe aussi l’implication d’acteurs étatiques étrangers, même s’il n’existe pas « forcément de choses avérées aujourd’hui ».
Les spécialistes du maintien de l’ordre consultés par Le Monde redoutent moins, toutefois, les risques liés au terrorisme ou au cyber que l’« effet papillon », une banale altercation pour un motif quelconque qui dégénère rapidement en mouvement de foule. « Là, ça deviendrait compliqué, mais on a de quoi gérer », explique le responsable d’un escadron de gendarmerie mobile affecté à Paris pour la durée des Jeux. La mobilisation de forces de gendarmerie en Nouvelle-Calédonie a, du reste, entraîné des ajustements. « Cela n’entraîne pas d’impact sur la planification en elle-même mais sur la répartition des forces au quotidien, assure M. Nuñez. Le format initialement prévu ne sera modifié qu’à la marge. »