Au Rwanda, des femmes dans les hautes sphères

M Le MagLes faitsEn dépit d’une société rwandaise conservatrice, elles sont ministres, juges, patronnes… et majoritaires au Parlement. Une prééminence féminine à l’Assemblée qui devrait perdurer après les élections législatives et présidentielle du 15 juillet, qui verront l’autocrate Paul Kagame briguer un quatrième mandat.

Le visiteur qui se rend pour la première fois dans l’enceinte du Parlement du Rwanda ne peut rester indifférent devant ses murs criblés d’impacts de balles. Pourtant, trente ans après le génocide perpétré contre les Tutsi en 1994, ce témoignage d’un passé traumatisant n’est pas la principale singularité de l’institution. Celle-ci tient davantage à sa composition, avec quarante-neuf sièges sur quatre-vingts occupés par des femmes (61,3 %).

Un record ­mondial, qui sera remis en jeu à l’occasion des élections, présidentielle et législatives, organisées lundi 15 juillet au « pays des mille collines ». Interrogée sur les chances de voir perdurer cette prééminence féminine, la députée Emma Rubagumya Furaha esquisse un sourire entendu. « Ici, les femmes croient en leurs chances et se présentent donc en grand nombre », se contente d’indiquer cette élue de 57 ans qui préside la commission des affaires politiques et du genre.

Dès 2003, la Constitution rwandaise a instauré un quota de 30 % de femmes dans toutes les instances étatiques de prise de décision. Depuis lors, au Parlement, ce seuil a été constamment – et largement – dépassé. Etonnant ? Rien de plus logique au contraire, selon Emma Rubagumya Furaha : « D’après les statistiques, nous ­formons plus de la moitié de la population rwandaise. Si nous étions laissées de côté, comment pourrait-on parler sérieusement de développement ? » Aujourd’hui, insiste-t-elle, « la question du genre est prise en compte dans toutes les lois que nous examinons : sur la famille, bien sûr, mais aussi sur le budget ou les appels d’offres. »

Une parité promue après le génocide

A certains égards, l’hémicycle apparaît d’abord comme un ­instrument à la main de Paul Kagame, ce dirigeant dont l’autoritarisme sophistiqué fascine et effraie à la fois. Les députés ont ainsi entériné à l’unanimité, en 2015, la révision constitutionnelle permettant au président rwandais de briguer un quatrième mandat, après déjà vingt-quatre ans à la tête du pays. Mais cette Assemblée présidée par une femme, Donatille Mukabalisa, n’en demeure pas moins un symbole : celui d’une parité promue dès les lendemains du génocide par le Front patriotique rwandais (FPR), l’ancien mouvement de libération désormais au pouvoir. Une décision en partie dictée par les nécessités de l’histoire. « A l’époque, la majorité de ceux qui avaient survécu étaient des femmes, c’est donc avec elles que le Rwanda s’est reconstruit, rappelle l’historienne et sociologue Assumpta Mugiraneza. De façon pragmatique, beaucoup ont été envoyées à l’école et à l’université. »

Aujourd’hui, ces dames sont ministres, juges ou patronnes de grandes entreprises. La plupart sont réputées bûcheuses, rigoureuses, et certaines ont grimpé les échelons très vite. « Il n’y a pas besoin de quelconques relations. Tout ce qui compte, ce sont les compétences et l’envie de servir son pays », tranche Paula Ingabire, la ministre des nouvelles technologies. Un portefeuille stratégique dans un pays qui se projette en hub africain de l’innovation et dont elle a hérité en 2018, à seulement 35 ans.

Diplômée du prestigieux Massachusetts Institute of Technology (MIT), où elle a étudié grâce à une bourse gouvernementale, Paula Ingabire est aujourd’hui l’une des figures les plus courtisées du Rwanda nouveau. Investisseurs et bailleurs de fonds se pressent chez cette élégante quadragénaire, capable de « pitcher » en quelques minutes les atouts de son pays pour développer l’intelligence artificielle, les drones ou toute autre technologie d’avant-garde. Sans nul doute, le recours à ces talents féminins participe à l’image de marque mondiale que le minuscule Rwanda, chouchou des donateurs internationaux, est ­parvenu à se forger au cours de la dernière décennie.

« Il y a tant à faire »

Dans sa quête de féminisation, le gouvernement s’appuie sur ses réseaux, dans l’administration, pour passer au crible les meilleurs profils. Y compris au sein de la diaspora. « Nous encourageons clairement les personnes très qualifiées à rentrer travailler au pays. Il y a tant à faire », reconnaît la porte-parole du gouvernement, Yolande Makolo, une autre femme puissante. Elle-même a vécu dix ans au Canada, entre 1993 et 2003, tout comme sa sœur, Yvonne Makolo, qui préside aujourd’hui la compagnie aérienne nationale, RwandAir. A leur image, bon nombre de celles qui occupent des postes influents ont connu l’exil, au sein de familles ayant fui les persécutions contre les Tutsi et la guerre civile ayant précédé le génocide.

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Source : M Le Mag

  (Kigali, envoyée spéciale)

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