Mauritanie : pourquoi Mohamed ould Ghazouani a été réélu

The Conversation   – Le président mauritanien Mohamed ould Ghazouani a été réélu à la tête de l’Etat lors des élections du 29 juin, selon les résultats officiels publiés par le Conseil constitutionnel. Il a obtenu 56 % des voix, battant six candidats de l’opposition. L’activiste anti-esclavagiste Biram Dah Abeid est arrivé en deuxième position avec 22 % des voix. Hamadi Sidi el-Mokhtar, du parti islamiste Tewassoul, est arrivé troisième avec 13 % des voix. Ces résultats ont été contestés par l’opposition. Raquel Ojeda-Garcia étudie le système politique mauritanien. Elle explique à The Conversation Africa les raisons de la réélection du président mauritanien.

Quels sont les facteurs qui expliquent, selon vous, la réélection de Mohamed ould Ghazouani au premier tour ?

Suivant le discours officiel, on peut remarquer deux facteurs : la stabilité du point de vue international et national de la Mauritanie et la “pacification” de la politique nationale. Dans un contexte géopolitique d’instabilité au Sahel, avec des positions anti-occidentales au Mali, au Niger et au Burkina Faso, la Mauritanie a joué un rôle d’interlocuteur et de partenaire fiable avec le reste des voisins et avec l’Europe.

La migration illégale a joué aussi un important rôle à travers la signature d’ un traité avec l’Union européenne, même si elle a provoqué un profond mécontentement parmi la population en raison de son rôle de “gendarme” à la frontière sud de l’Europe. A cela s’ajoute la lutte contre la corruption avec le procès de son ancien compagnon de coup d’Etat, Mohamed ould Abdel Aziz en prison.

Par rapport “à la pacification” réussie par Ghazouani (un de ses thèmes de campagne), elle fait référence au processus de dialogue avec les forces de l’opposition et aussi à la question de coexistence entre différentes communautés, en particulier, les Arabes et les Négro-Mauritaniens.

 

Mais, à mon avis, les facteurs décisifs qui ont contribué à la victoire de Ghazouani sont :

 

L’opposition conteste les résultats et parle de “coup d’Etat électoral”. Que faut-il changer dans le système politique pour que les élections se déroulent sans contestation ?

C’est presque impossible gagner des élections libres et transparentes face à un parti autoritaire dominant, ou à son candidat aux élections présidentielles. C’est comme si une équipe de football de deuxième division devait faire face dans un match à une grande équipe de première division. El Insaf, le parti de Ghazouani, reformé en 2022, s’appelait Union pour la République (UPR), créé le l’ancien président Abdel Aziz. Ce parti a gagné systématiquement les élections depuis l’arrivée à la présidence d’Abdel Aziz en 2009.

C’était une stratégie pour contrôler le parti face aux risques de résistances à Ghazouani et pour éviter ainsi le soutien à Abdel Aziz. L’Insaf, déjà réformé, a été le vainqueur des dernières élections locales et législatives de 2023. Le parti au pouvoir contrôle les collectivités locales et même l’Assemblée nationale. Ghazouani a montré qu’il détient les rênes du parti, sait utiliser les ressources du pouvoir de l’État, et a su obtenir les appuis économiques des grandes familles mauritaniennes.

À mon avis, le problème ne réside pas dans la conduite des élections*, chaque fois plus perfectionnées dans les aspects formels de respect des élections libres et transparentes avec une grande supersivion de la part de différentes organismes internationaux (Union Africaine, Communauté des Etats Sahélo-Sahariens (CEN-SAD) et Organisation internationale de la Francophonie). Le problème ne vient pas des élections mais plutôt dans les conditions préalables à savoir le processus démocratique. Le processus démocratique, ce n’est pas seulement au moment des élections, mais c’est aussi la possibilité offerte à tous les candidats de participer dans les mêmes conditions.

L’administration et les ressources de l’Etat ne peuvent pas être au service d’un seul candidat. La participation des femmes et la représentation de toutes les communautés doit être assurée. Il faudrait mettre fin au contrôle du processus par un seul parti qui exclut de fait une vraie compétition qui devrait inclure toutes les forces.

Quelles sont les principales questions sur lesquelles le président devrait se pencher au cours de son nouveau mandat ?

Les dossiers ouverts sont nombreux et difficiles. Il y a les grands sujets comme la lutte contre la corruption et la gabegie, l’amélioration des conditions économiques et sociales, le contrôle du territoire et du conflit latent à la frontière de Mali…

Mais les grandes disparités à caractère social, économique et bien sûr politique persistent. Les résultats électoraux ont montré un grand soutien aussi aux forces anti-esclavagistes qu’au parti Tawassoul. Ce parti, avec el Mokhtar à la tête, a adopté un programme et un discours axé sur un retour à une vision traditionnelle et radicale de l’islam politique. Les défis politiques vont rendre plus difficile le deuxième mandat de Ghazouani parce que la campagne électorale et la publications des résultats ont montré une radicalisation du discours et des positions de candidats de l’opposition qui ont aussi un soutien électoral et social.

Je pense que les options de Ghazouani vont se situer dans le domaine international. Il s’agira de renforcer le partenariat avec les alliés occidentaux dont l’Union européenne, le maintien de son image de régime stable sur le plan sécuritaire et des alliances en Afrique de l’Ouest et au Sahel, même avec ses voisins maghrébins (Maroc et Algérie, en lutte pour le leadership régional et dont les relations sont marquées par le conflit du Sahara occidental). La distribution (ou redistibution) des nouvelles richesses tirées des énergies renouvelables et la production annoncée du gaz peuvent devenir un important levier avec lequel Ghazouani peut jouer.

Qu’est ce que ce conflit électoral signifie pour le pays ?

Ce qui se passe en Mauritanie date d’avant les élections du 29 juin. Pour moi, il n’y a pas de coup d’Etat électoral. Une partie de la population se sent exclue systématiquement de la vie sociale, économique et politique. Le conflit électoral montre une fracture et une frustration de la part de la population qui ne se sent ni représentée ni prise en compte. Et ce n’est pas seulement une question ethnique (des haratins – anciens esclaves- ou des communautés negro-mauritaniennes) mais une question économique et sociale qui date de longtemps.

La campagne électorale avait donné une image d’une certaine réconciliation et dialogue (les dialogues politiques entre le régime et les candidats de l’opposition est une “technique” largement utilisé (2009, 2014) pour chercher une certaine légitimité et la cooptation de certains leaders de l’opposition). Mais Biram Dah Abeid et ses partisans ont pris un virage radical et ont choisi de ne pas reconnaître le résultat de l’élection. C’est l’un des principaux outils dont ils disposent, pour parvenir à un certain blocus et provoquer une réaction de la part du pouvoir. Les autres candidats de l’opposition cependant n’ont présenté aucun recours au Conseil constitutionnel qui finalement a déclaré Ghazouani vainqueur de l’élection présidentielle du 29 juin 2024.

Ce conflit, avant la publication définitive des résultats électoraux, a montré deux choses, d’un côté le pouvoir répressif de l’Etat qui a réagi rapidement, le dimanche 30, stoppant d’une manière violente et répressive les manifestations et mobilisations des sympathisants de Biram sur tout le territoire.

De l’autre côté, on a pu observer la capacité de Biram à mobiliser ses sympathisants. Après une campagne calme et au ton conciliant, la population est descendue dans la rue pour manifester son soutien à Biram qui a choisi de dénoncer “un coup d’État électoral”.

ensiegnant-chercheur, Universidad de Granada

Source : The Conversation 

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