« Pas assez français ? Ça n’a aucun sens » : les binationaux blessés par les annonces de Bardella

Ils sont scientifiques, médecins, directrice d’une agence immobilière… et ont deux nationalités. Ils expriment un sentiment profond d’injustice et leurs inquiétudes pour la France.

Le Monde  – Certains sont nés en Algérie, au Maroc, au Liban ou au Cameroun, avant d’émigrer avec leurs parents. D’autres sont nés en France de parents étrangers. Quelques-uns, enfin, se sont installés ici à l’âge adulte et ont acquis la nationalité française par mariage. Depuis lundi 24 juin, jour de la présentation du programme du Rassemblement national (RN) pour les élections législatives par le président du parti d’extrême droite, Jordan Bardella, l’annonce de sa volonté d’interdire certains emplois dits « stratégiques » aux binationaux, inquiète, blesse et révolte ces Français qui ont gardé deux nationalités. « Je me sens comme invitée chez moi », résume Hanane (elle n’a pas souhaité donner son nom), une directrice d’agence immobilière franco-marocaine qui vit au Kremlin-Bicêtre (Val-de-Marne).

Avant même de commencer à évoquer leur colère, tous tiennent à dire que les exemples avancés par Jordan Bardella ne trompent personne – il a convoqué à plusieurs reprises l’exemple d’un « Franco-Russe » qui dirigerait « une centrale nucléaire ». « Les Franco-Africains, qu’ils soient d’Afrique noire ou du Maghreb, ont bien compris que cette proposition ne vise pas les Suédois ou les Finlandais », ironise Benoît Onambélé, un Franco-Camerounais qui travaille dans une organisation internationale à Paris. Le sens du mot « stratégique » alimente également les inquiétudes. « Piloter un avion, conduire des transports publics, soigner des patients, n’est-ce pas avoir des vies entre les mains ? », interroge le docteur Djillali Annane, chef du service de réanimation de l’hôpital de Garches (Hauts-de-Seine) et président du Syndicat des médecins réanimateurs.

 

Chacun entretient son propre rapport à la binationalité. Certains n’y avaient jamais vraiment réfléchi, comme les quatre filles de Ghassan Rachidi, raconte ce radiologue franco-libanais installé à Voiron (Isère), arrivé en France pour ses études. Mais pour lui, qui est « 100 % français et 100 % libanais, et même 200 % français », l’impression d’être remis en cause dans son attachement à la France est d’autant plus difficile à supporter qu’il a décidé de devenir français par mariage, à l’âge adulte.

« Comment va-t-on dire à quelqu’un qui a choisi la France, qui en a adopté les valeurs, souvent avant même d’arriver, qu’il n’est pas assez français ? Ça n’a aucun sens… », s’interroge également Ghada Hatem, gynécologue obstétricienne franco-libanaise et fondatrice de la Maison des femmes de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis).

« Ce débat est un peu absurde »

 

Ghada Hatem a bien conscience d’être une « binationale de luxe », qui ne serait pas la première à subir les discriminations menaçant ceux qui seraient jugés « pas assez » français, en cas d’accession au pouvoir du RN. Mais cette ère du soupçon génère d’ores et déjà un sentiment d’injustice profond chez ceux qui savent avoir été choisis pour leurs compétences. Le docteur Annane a recours au lexique médical pour démontrer l’absurdité du raisonnement : la binationalité n’est « certainement pas un “test diagnostique” fiable pour décider à qui donner sa confiance pour une mission, une fonction ou un poste », dit-il, défendant la nécessité de « considérer les gens pour ce qu’ils font plus que pour ce qu’ils sont ».

En jetant une défiance irrationnelle sur ces « Français comme les autres », selon la formule de plusieurs d’entre eux, le discours du RN vient ainsi percuter un cartésianisme hexagonal auquel tous sont attachés. « Ce débat sur les binationaux est un peu absurde, s’étonne le microbiologiste franco-britannique Stewart Cole, qui a dirigé l’Institut Pasteur de 2018 à 2023. Pour nous, les scientifiques, il est évident que les gens doivent être choisis en fonction de leurs compétences, pas de leur nationalité. »

Le soupçon, d’autant plus insidieux qu’il avance masqué, ne date malheureusement pas d’hier. « C’est toujours la même soupe, le RN tape toujours sur le même clou », constate le directeur du centre dramatique national Le Quai, à Angers, le Franco-Argentin Marcial Di Fonzo Bo, qui dit n’être « pas surpris ».

« On veut nous faire passer pour des traîtres à la nation, et, même en ayant réussi socialement, on reste suspect », ajoute Salah-Eddine Gakou, un journaliste franco-sénégalais qui se souvient des insultes racistes subies par Pap Ndiaye lorsqu’il a été nommé ministre de l’éducation nationale. « On est toujours soupçonné de quelque chose : indigéniste, wokiste. »

 

« La petite musique du rejet des personnes d’ascendance subsaharienne et nord-africaine monte depuis des années, pourquoi nous étonner de cette percée du RN ? », demande à son tour Fatma Bouvet de la Maisonneuve, psychiatre et écrivaine franco-tunisienne. « Il y a eu un ministère de l’identité nationale sous Sarkozy, et le débat sur la déchéance de la nationalité sous Hollande [après les attentats de 2015] », ajoute l’autrice de Debout tête haute, (Editions du Croquant), à paraître cet été, un manifeste pour répondre au racisme quotidien. Cette psychiatre reçoit dans son cabinet des patients français d’origine africaine traumatisés par le racisme et les discriminations. « Depuis le 9 juin, il y a une peur incommensurable dans ma patientèle d’origine étrangère qui vit cette séquence comme un traumatisme, une menace existentielle », ajoute-t-elle.

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Source : Le Monde 

 

 

 

 

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