France – Quelles langues parlent les copains de vos enfants ?

Non, il ne s’agit ni d’anglais ni d’allemand, mais plutôt de lingala, de tagalog ou d’arabe. Un plurilinguisme souvent invisible, constate Clara Georges pour la newsletter « Darons Daronnes ».

Le Monde  – Avant-hier, ma fille cadette, 6 ans, m’a fait part de sa stratégie religieuse. Elle a décidé de croire en Dieu de temps à autre, pour s’assurer une place au paradis le cas échéant (appliquant ainsi le pari pascalien sans le savoir). « Et puis je dirai régulièrement des petits mots pour faire plaisir à Dieu, comme “bismillah” ! », a-t-elle ajouté. Pendant le dîner, j’ai raconté ça à mon compagnon, et mon aînée de 9 ans a réagi : « Mais, d’ailleurs, ça veut dire quoi “bismillah” ? » Ma cadette a alors répondu que « bismillah » signifiait en arabe « au nom de Dieu », et heureusement qu’elle était là, car ni mon compagnon ni moi n’en savions rien.

Elle parle souvent de traduction avec son « clan », ses trois copines inséparables – toutes trois françaises et musulmanes, mais d’origines différentes (Tunisie, Côte d’Ivoire et Sénégal). Dans cette école de quartier parisienne, les cultures se brassent. Sur un panneau à l’entrée, il y a écrit « école » en vingt-sept langues. Hier, c’était le spectacle du centre de loisirs. Entre deux hymnes dithyrambiques à nos valeureux athlètes, les enfants ont dansé sur Tro lai pho cu, de la chanteuse américano-vietnamienne Nhu Quynh, et chanté en lingala un morceau congolais.

Après le spectacle, entre un samoussa et une brochette tomate-mozza, j’en discutais avec la mère d’une des « best friends forever » de ma cadette. D’emblée, elle m’a exprimé des regrets. Elle, fille d’immigrés sénégalais installés en France depuis cinquante ans, ne peut pas transmettre le wolof à ses filles, parce qu’elle ne le maîtrise pas. A la maison, ses parents ne lui parlaient pourtant que wolof, mais elle a toujours répondu en français. Elle le comprend parfaitement, mais peine à le parler. « Mon aînée de 17 ans le parle mieux que moi, dit-elle, parce que son père le lui a appris. Mais les deux petites sont comme moi, et cela m’attriste. » Elle aimerait qu’elles se rendent au Sénégal une fois par an pour l’apprendre. Mais pour l’instant, elle se concentre sur l’apprentissage de l’arabe avec un professeur particulier. « Nous sommes religieuses, et pratiquantes, me dit-elle. Je trouve que cela n’a aucun sens de faire réciter à mes filles des sourates qu’elles ne comprennent pas. Et même chose pour moi : je fais mes prières, mais je suis obligée d’avoir une traduction française ! »

Hiérarchie des langues

 

Avec le wolof, cette maman est dans un cas de figure relativement fréquent en France. Elle fait partie des 59 % de descendants d’immigrés qui ont une langue étrangère comme langue familiale de référence. Mais, comme le constate l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) dans une enquête parue en 2023, malgré la transmission de cette langue durant l’enfance, sa maîtrise n’est pas toujours assurée : seuls 16 % des descendants d’immigrés la lisent, l’écrivent, la parlent et la comprennent très bien. Ils ont de meilleures compétences dans la compréhension et l’expression orales que dans l’écrit et la lecture.

Pourquoi ces langues maternelles ne se transmettent-elles pas ? D’abord, appelons un chat un chat. Quand les parents sont d’origine américaine ou italienne, en général, ils veillent bien à apprendre leur langue à leurs enfants. Alors pourquoi pas le wolof ? Parce que certaines langues de l’immigration sont « non seulement minoritaires, mais minorées », m’explique Anna Stevanato, fondatrice et directrice de Dulala (pour D’une langue à l’autre), une association installée à Montreuil (Seine-Saint-Denis) qui œuvre à la promotion du plurilinguisme depuis quinze ans. « Il y a sept fois plus de chances de conserver l’anglais quand on vient d’une famille qui parle anglais que de conserver l’arabe quand on vient d’une famille qui parle arabe, toutes choses égales par ailleurs », ajoute la linguiste, citant le sociodémographe Patrick Simon, coconcepteur de la deuxième enquête « Trajectoires et origines » menée par l’Institut national d’études démographiques (INED) avec l’Insee en 2019-2020.

Cette hiérarchie des langues est à mettre en lien avec notre histoire, continue Anna Stevanato. La France s’est construite sur un modèle d’intégration assimilationniste : on gomme les autres langues, d’abord régionales (breton, savoyard…), puis celles de l’immigration (italien, portugais, polonais…). C’est même inscrit dans l’article 2 de la Constitution (« La langue de la République est le français »). « Les parents parlent leur langue entre eux, mais pas aux enfants, pour ne pas compromettre la réussite scolaire », observe la spécialiste.

Dimension politique

 

Comment faire vivre cette richesse ? On sait depuis longtemps (les années 1960 !) que le plurilinguisme n’est pas un frein pour les enfants mais, au contraire, un atout. Toutes les études le confirment, comme l’écrit la neuroscientifique Nawal Abboub dans La Puissance des bébés (Fayard, 2022) : flexibilité mentale et sociale, sensibilité linguistique… et même une « expérience de décentration philosophique », ajoute Anna Stevanato, puisque certains mots n’ont pas de traduction.

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Source : Le Monde 

 

 

 

 

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