Quand la génération Platini montrait le chemin de la victoire à la France du sport

« 1984-2024 : la période Bleus » (1/6). En 1984, l’équipe de France décrochait à l’Euro le premier titre majeur du football tricolore. Le premier, également, tous sports collectifs confondus, pour le pays.

Le Monde  – Il est 11 heures du matin au prieuré de Saint-Lambert-des-Bois (Yvelines), en région parisienne, le 27 juin 1984, quand Michel Hidalgo trace au feutre une montagne sur un paperboard. Assis face au sélectionneur, les vingt joueurs de l’équipe de France, qui se ressourcent depuis plusieurs jours chez les moines bénédictins, prêtent l’oreille, attentifs au prêche que s’apprête à prononcer leur entraîneur. Avant, le soir même, d’affronter l’Espagne en finale du championnat d’Europe des nations, au Parc des Princes.

Tous mesurent l’importance de l’instant. A commencer par Michel Hidalgo. Patron de l’équipe de France depuis 1976, il s’apprête à diriger son dernier match à la tête des Bleus, et le plus décisif, sans aucun doute. Après le traumatisme de la nuit de Séville – douloureuse élimination en demi-finale de la Coupe du monde 1982 face à l’Allemagne –, l’occasion est trop belle pour le Nordiste et ses ouailles d’offrir à la France son premier titre majeur dans une compétition internationale de football. Le premier, tout court, pour un sport collectif français.

Chaque parole doit faire son effet. « Hidalgo, c’était quelqu’un qui parlait très bien. Il avait toujours le mot juste », se remémore Bruno Bellone. L’attaquant de la génération victorieuse à l’Euro 1984 vient d’apprendre qu’il sera titulaire lors de la finale. Cette fois, c’est du sérieux. Il n’est plus question d’aller pêcher la carpe dans l’étang du prieuré avec Philippe Bergeroo et Joël Bats. Une prise qui leur vaudra « une belle engueulade », sourit le dernier, gardien des Bleus.

Un public catalyseur

 

Au sommet de la montagne, sur le paperboard, Michel Hidalgo représente le drapeau français. « Il nous a dit que le plus dur, ce n’était pas les étapes qu’on avait déjà franchies. Le plus dur, ça sera d’aller planter ce drapeau », relate Joël Bats. Le message atteint sa cible car depuis plus d’un mois, les joueurs en rêvent. D’abord réunis à Font-Romeu (Pyrénées-Orientales) – lieu de stage récurrent des Bleus à l’époque –, ils s’imaginent remporter cet Euro, qui se joue pour la deuxième fois à domicile, après la première édition de la compétition en 1960.

Maxime Bossis, défenseur central des Bleus en 1984, se souvient des jours qui ont précédé le début de la compétition : « On était confiants même si on ressentait une grosse pression parce que l’Euro était en France. Et puis, c’était la première fois qu’on abordait une compétition avec le statut de favori, il fallait qu’on l’assume et ce n’était pas facile. » Cette attente qui inhibe joue sur les nerfs des Bleus lors de leur entrée dans le tournoi, contre le Danemark. Un match remporté d’un petit but (1-0), « après une rencontre très moyenne et tendue », souligne Jean-Marc Ferreri, jeune milieu de 21 ans, considéré alors comme un grand espoir.

Cette première victoire libère à la fois les têtes et les corps. La Belgique, adversaire redoutable s’il en est, est balayée dès le deuxième match (5-0), avec un triplé de Michel Platini. Un sommet du jeu tant les Bleus dominent leur sujet, dans un stade de la Beaujoire, à Nantes, qui bat son record d’affluence, avec 51 359 spectateurs. « Quand on voyait tous ces gens qui nous attendaient, qui nous suivaient partout en France, on se disait qu’on ne pouvait pas se louper. Ce n’était pas possible. Il fallait gagner », insiste Bruno Bellone.

Ce public exigeant se transforme en catalyseur pour les joueurs tricolores, notamment à Marseille, lors de la demi-finale contre le Portugal (3-2 a.p.). « Ce match, c’est celui où j’ai eu le plus peur », précise Maxime Bossis. Avant, comme pendant la rencontre. Lors des heures qui précèdent le coup d’envoi, les Bleus vivent un premier coup de chaud. Sur une route nationale en direction du Stade-Vélodrome, leur bus prend un virage trop serré. En face, un camion percute le rétroviseur, qui fait exploser la vitre proche du chauffeur. Jean Tigana et Bruno Bellone se trouvent juste derrière lui. L’attaquant en rit jaune quarante ans plus tard : « Heureusement qu’il n’a pas braqué parce que, sinon, on finissait dans le fossé. »

Une grande fête du football français

Un peu plus tard, dans les vestiaires, « Jeannot » Tigana tente de réveiller un effectif encore troublé par l’événement : « Après ça, il ne peut rien nous arriver ! » Rien, hormis une prolongation, qui convoque rapidement le mauvais souvenir de Séville, alors que le Portugal prend l’avantage. « Sur ce but, j’ai eu l’impression que le Vélodrome s’était écroulé », se souvient Bruno Bellone. « L’ambiance dans le stade était incroyable. Je pense que c’est grâce aux gens qui y étaient qu’on a gagné le match », poursuit le joueur, entré en cours de jeu, qui voit Michel Platini donner la victoire aux Bleus à une minute de la fin de la rencontre.

Quelques jours plus tard, après cette retraite au prieuré de Saint-Lambert-des-Bois, c’est l’ancien Monégasque qui offrira le titre de champion d’Europe à la France, d’un subtil piqué en toute fin de match. « Le but que j’aurais aimé inscrire », a toujours dit Michel Platini. Le numéro 10 des Bleus a pourtant bel et bien marqué lors de la finale remportée face à l’Espagne (2-0), certes bien aidé par une grosse erreur de Luis Arconada.

« Il m’a toujours dit que ce n’était pas lui qui l’avait marqué mais le gardien qui se l’est mis », rappelle Bruno Bellone, qui n’hésite pas à rétorquer à son capitaine de l’époque qu’il « aurait bien aimé marquer ses neuf buts », record sur un Euro de football. « Michel était sur le toit du monde, il était sur une autre planète. Comme touché par la grâce. » « Sans Platoche, on ne l’aurait pas gagné, cet Euro », pose, réaliste, Jean-Marc Ferreri.

Pas encore tout à fait habitués à la gagne, les joueurs tricolores frôlent l’impair en oubliant le trophée dans les vestiaires. S’ensuit une nuit de célébrations, « où l’on a terminé à une heure indue », sourit Maxime Bossis. Sur les Champs-Elysées, une grande fête du football français, qui n’est pas encore au niveau de celle de 1998, a commencé. Luis Fernandez et Bruno Bellone, en route pour une soirée où se trouve Pelé, se retrouvent bloqués, enfermés dans la voiture du premier face à des badauds qui les ont reconnus.

« Je nous considère comme des pionniers »

 

« Les gens sont montés sur la voiture et on s’est dit : “Ce serait con de crever maintenant alors qu’on vient d’être sacrés champions d’Europe” », rigole Bruno Bellone. Pour l’ex-attaquant tricolore, ce succès « a ouvert les portes du paradis au football français et aux autres sports collectifs ». « Je nous considère comme des pionniers, assure Joël Bats. 1984 a montré qu’on pouvait gagner des trophées. Jusque-là, on n’était pas du tout habitués à la gagne. C’est tout juste si on se disait que participer, c’était bien. »

« On a débloqué quelque chose pour tous les sports français. Nos successeurs se sont inspirés de notre génération pour se dire qu’ils étaient capables de gagner des titres », confirme Maxime Bossis. La bande à Didier Deschamps et Zinédine Zidane le prouvera de manière éclatante en décrochant, une décennie plus tard, la Coupe du monde 1998 puis l’Euro 2000. Depuis 1984, d’autres disciplines les ont imités avec brio, à l’instar du handball, du volley ou du basket.

Avant les Jeux olympiques de Paris, du 26 juillet au 11 août, et de potentiels nouveaux succès, les footballeurs français tenteront d’imiter leurs aînés de 1984, lors de l’Euro en Allemagne. Une compétition que suivra attentivement Joël Bats. De sa carrière, l’ancien gardien des Bleus ne conserve presque rien, hormis un trophée d’une trentaine de centimètres où se trouve inscrit, au-dessus du nom de Michel Platini : « Euro 1984. A Joël Bats, merci pour tout. » Un cadeau du capitaine à l’attention de tous ses coéquipiers de l’époque. En l’observant, il se montre nostalgique : « J’ai vu le football évoluer ces quarante dernières années, à une vitesse considérable. Mais ce trophée, lui, n’a pas bougé. »

 

Source : Le Monde 

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