Au Sénégal, le jeu d’équilibriste de Bassirou Diomaye Faye

Afrique XXIAnalyse · Le nouveau président sénégalais suscite espoir et méfiance. La récente visite du FMI a ravivé les attentes concernant ses promesses économiques, parmi lesquelles figurent une réforme monétaire, une politique fiscale novatrice et le développement de mécanismes endogènes pour stimuler la croissance. Un projet parsemé d’embûches.

Sous les lueurs éclatantes du Centre des expositions de Diamniadio, le nouveau président du Sénégal, Bassirou Diomaye Faye, se tient droit, le visage empreint de gravité et de détermination. Le 2 avril 2024, devant une assemblée de dirigeants africains et de citoyens enthousiastes venus assister à son investiture, il promet « un changement systémique » et une « plus grande souveraineté » pour le pays.

En 2024, le Sénégal a vécu une élection présidentielle marquée par de nombreux rebondissements. Bassirou Diomaye Faye, candidat des Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef), a triomphé au premier tour (54,28 % des voix). Une victoire qui illustre un rejet du statu quo et un appel au changement. Son investiture, saluée par une large partie de la population, signale le début d’un mandat promettant des réformes audacieuses dans un pays confronté à de multiples défis économiques et politiques.

La fin du franc CFA ?

 

M. Faye a promis de renforcer l’autonomie économique du Sénégal. Il a notamment évoqué la possibilité de remplacer le franc CFA par une monnaie nationale ou par une participation à une monnaie régionale de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao). Cette mesure vise selon lui à renforcer l’indépendance financière du pays. Elle répond en outre aux aspirations de nombreux Sénégalais (et de nombreux Ouest-Africains) qui voient dans le franc CFA un symbole de dépendance économique vis-à-vis de la France, l’ancienne puissance coloniale.

Pour l’économiste togolais Kako Nubukpo, « c’est une très bonne nouvelle que des acteurs politiques clairement engagés contre le franc CFA, en tout cas dans sa mouture actuelle, puissent accéder aux responsabilités. Cela crédibilise les débats […]. D’autant plus que le Sénégal est la deuxième économie de la zone Uemoa [Union économique et monétaire ouest-africaine, NDLR] après la Côte d’Ivoire »1.

Le changement de monnaie comporterait cependant des risques selon certains économistes, notamment l’ébranlement de la stabilité financière et de la confiance des investisseurs internationaux. « Une monnaie nationale en remplacement du franc CFA ne peut être automatique, et ce n’est pas une chose qui doit intervenir maintenant car c’est une décision lourde de conséquences qui nécessite que l’on puisse redorer notre économie, la restructurer dans un premier temps, estime Magaye Gaye, ancien cadre de la Banque ouest-africaine de développement (BOAD) et du Fonds africain de garantie et de coopération économique. En 2020, je disais déjà que le Sénégal, à l’instar des autres pays de l’Uemoa, n’avait pas besoin d’un plan de relance, d’un plan d’ajustement structurel interne. Ce qu’il faut, ce sont des efforts d’introspection et de réforme car aujourd’hui le seau est troué. »

A contrario, Ndongo Samba Sylla, coauteur avec Fanny Pigeaud de l’ouvrage L’Arme invisible de la Françafrique. Une histoire du franc CFA (La Découverte, 2018), considère que « les États africains devraient plutôt mettre en place des monnaies nationales souveraines ».

La question se pose avec acuité depuis que les États réunis au sein de l’Alliance des États du Sahel (AES), le Mali, le Burkina Faso et le Niger, ont annoncé leur volonté de créer une monnaie commune. Selon Mamadou Thiam, économiste au ministère de l’Économie, du Plan et de la Coopération du Sénégal, « une monnaie commune pourrait renforcer l’intégration économique régionale, facilitant le commerce et l’investissement entre les pays sahéliens. Cependant, des facteurs tels que des conflits armés, l’instabilité politique et des vulnérabilités économiques peuvent compliquer la mise en place d’une monnaie commune stable et crédible ». En outre, ajoute-t-il, « le passage à une nouvelle monnaie nécessite une gestion rigoureuse pour éviter l’hyperinflation ou la perte de confiance des acteurs économiques ». Conscient de ces enjeux, Diomaye Faye semble plutôt envisager une relance du projet de monnaie unique régionale au sein de la Cedeao, une démarche moins radicale quoique semée d’embûches elle aussi.

 

« Une économie malade »

 

Une autre priorité du nouveau gouvernement concerne l’agriculture. Ce secteur, qui représente 7 % du PIB, « n’arrive à faire travailler nos agriculteurs que trois mois sur douze, constate Magaye Gaye. Cela représente un problème lancinant parce que l’essentiel des ouvrages hydrologiques et hydroélectriques ont été implantés au nord et au sud du Sénégal, laissant en rade le grand bassin arachidier ». L’objectif affiché par M. Faye est – comme ses prédécesseurs Abdoulaye Wade et Macky Sall – de réduire la dépendance aux importations alimentaires et de créer des emplois dans les zones rurales.

Des investissements significatifs dans ce secteur sont annoncés, visant à accroître la production nationale et à assurer la sécurité alimentaire. « Le président de la République […] a invité le gouvernement à engager, dès la prochaine campagne de production agricole, la mise en œuvre de la Doctrine de souveraineté alimentaire (DSA), en cohérence avec la nouvelle politique d’industrialisation, de valorisation et de consommation de nos produits locaux », indique le communiqué officiel du Conseil des ministres du 24 avril 2024.

Magaye Gaye explique que « l’économie du Sénégal est une économie malade, complètement extravertie. Depuis les indépendances, elle souffre de beaucoup de tares. Elle importe de tout mais exporte très peu ». Il faudrait selon lui « instaurer la souveraineté économique au niveau national de manière à relancer la production, au détriment surtout des politiques d’infrastructure sur lesquelles ont mis l’accent les régimes libéraux d’Abdoulaye Wade et de Macky Sall ».

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Aicha Fall

Aicha Fall est titulaire d’un Master en politique internationale de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et d’un Master en journalisme

Source : Afrique XXI

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