Pr Outouma Soumaré, Candidat à la Présidentielle 2024 : «La question de l’éducation nationale met en exergue l’hypocrisie de ceux qui nous dirigent »

A quelques jours du début de la campagne de la présidentielle de Juin 2024, le candidat Outouma Soumaré analyse à travers cet entretien, « l’état-profond oligarchique » qui mine le développement de la Mauritanie, livre sa vision d’une Mauritanie juste et travailleuse, à travers les questions de l’éducation, de la cohabitation, de la santé, de la gouvernance et de la justice, entre autres.

Mozaikrim – Il y a eu un appel récent du docteur mathématicien Mouhamadou Sy, à une Union de l’opposition. Avez-vous la même réflexion sur l’approche ?

Effectivement l’union de l’opposition est l’idéal pour permettre de renverser une situation de monopole absolu sur l’exercice du pouvoir en Mauritanie. Mais encore aurait-il fallu qu’elle ait été préparée il y a plusieurs années, et qu’il y ait certaines personnalités qui se dégagent progressivement, tout en apprenant à travailler ensemble dans le cadre de la confiance, et autour d’un projet commun, où les grandes idées sont débattues, convenues, homogénéisées et défendues ensemble, chacun avec son point de vue, sa personnalité, ou son mouvement politique.

C’est l’inverse qui s’est produit, avec un éparpillement des forces de l’opposition, pas seulement de l’opposition historique, mais aussi de l’opposition émergente qui essaie de prendre le relais, sans avoir été soutenue, ou avoir bénéficié d’un passage de relais de l’opposition historique. Donc, le cas de figure idéal ne se présentant pas, la stratégie est la candidature multiple, pour essayer, chacun à son niveau, de « grappiller » le plus d’électeurs possible, sachant que le lien qui existe entre les leaders politiques et les électeurs, se renouvelle à chaque élection !

Mozaikrim : Vous évoquiez récemment le concept d’Etat-profond pour décrire la gouvernance en place dans le pays. Le voyez-vous engoncé dans une structure militaro-tribale ?

Le concept « d’état-profond » est ottoman. L’empire ottoman, dans sa présence en Egypte, a été étudié par les anglo-saxons, et ils en ont tiré la notion de « deep state », qui fait l’état-profond en français, et الدولة العميقة (aldawlat aleamiqa) en arabe. C’est l’idée d’une partie immergée du pouvoir exécutif qui dirige tout mais dans l’ombre. La partie visible est évidemment l’exécutif gouvernemental, avec le président élu, mais à la manière d’un iceberg, dont on ne voit que la partie visible, alors que la partie la plus dangereuse pour le navigateur est la partie invisible, immergée.

Cet état-profond fait partie de  « la manière de faire sur Terre ». L’humanité fait avec un état-profond, et ce quelque soit le regroupement du pouvoir centralisé. Dans certains pays, cet état-profond oeuvre dans un cadre, qui est l’état de droit, la citoyenneté; il peut même accepter d’être influencé par un lobby financier, ethnique ou même religieux, mais son ambition demeure une ambition nationale. Effectivement, c’est lui qui tire les rênes du pouvoir, mais dans les limites du cadre des règles de la république, et dans l’intérêt général bien compris, qui est celui de la Nation.

Pour ce qui est de la Mauritanie, la forme centralisée du pouvoir a été rendue possible par la décolonisation, avec une colonisation de très courte durée pour la partie Bidhane. Et une colonisation un peu plus longue pour les parties Wolof, Pulaar et Soninké. C’est tardivement qu’est venue l’idée, dans la tête du colonisateur, à travers Xavier Coppolani, de rattacher à la rive droite, le Protectorat des pays maures. Il me semble que l’empreinte du colonisateur n’a pas été suffisante pour créer un état centralisé légitimé auprès de tous, et accepté par tous, avec des règles de fonctionnement bien comprises.

D’où d’ailleurs, le besoin pour l’un des pères fondateurs de la Nation, Moctar Ould Daddah, parce qu’il n’était pas le seul évidemment, il y avait des hommes avec lui, pas toujours d’accord avec ce qu’il faisait, de faire le congrès d’Aleg. Parce qu’il fallait adopter la forme appropriée par tous du pouvoir centralisé, du fait que bien avant cela c’était des proto-états qui existaient, avec des territoires qui étaient mouvants en fonction de la saison dans l’année, en fonction du chef de l’exécutif du moment, sa personnalité, ses capacités d’alliances, ses capacités diplomatiques. Donc il n’y avait pas de territoires bien définis, qui délimitaient ce qui relevait du Fouta Toro, ce qui relevait du Guidimakha, ou ce qui relevait des différents Emirats, notamment le Trarza et le Brakna, qui ont une frontière commune avec la Vallée.

C’est la raison pour laquelle, il me semble, que l’état-profond dans notre pays n’a pas eu le temps de sédimenter, de se définir dans le cadre d’un pouvoir centralisé, qui prend la forme d’un Etat républicain. La nation mauritanienne en réalité, est une juxtaposition, une cohabitation de plusieurs nations. On pourrait définir la Mauritanie ainsi : un état unitaire, non fédéral évidemment, mais multinational. C’est ce qui fait que l’état-profond a du mal à s’approprier la direction du pays, de telle sorte que tout le monde se sente concerné par ses décisions. Et au final, aujourd’hui, il me semble que nous sommes pris en otage par une oligarchie de l’état-profond, qui se veut représentative de tout le peuple mauritanien, parce que chaque composante de la population mauritanienne y est représentée (il y a bien son walo-walo, il y a bien son maure, il y a bien son pulaar, il y a bien son soninké, mais tous les maures ne sont pas représentés, tous les pulaars ne sont pas représentés, tous les soninkés et walo-walo ne sont pas représentés), et leurs intérêts, leurs actions, ne sont pas complètement alignés ou superposés à ceux de tout le peuple mauritanien, dans ses différentes composantes.

Je pense qu’il s’agit réellement d’une oligarchie. On a tort de la définir comme une oligarchie militaire : c’est faire une généralisation, parce que l’essentiel des éléments de l’armée sont opprimés par cette oligarchie. On a tort également, comme l’ont fait nos prédécesseurs, de la qualifier comme une oligarchie Bidhane, parce que je pense aussi que la majorité de ce groupe ethnique est opprimée par cette oligarchie de l’état-profond.

Et c’est parce qu’elle a été mal définie qu’elle a été mal combattue. Le rapport de force avec elle pour lui permettre de s’approprier le cadre républicain et la sanctuarisation de l’individu dans la citoyenneté, n’ont pas marché jusqu’à présent, du fait de cette mauvaise définition.

Il est important pour moi de bien définir mes objectifs politiques. L’objectif politique c’est de mettre en place un rapport de force avec cet état-profond à travers le peu d’outils démocratiques que nous possédons, mais avec beaucoup de mécontentement de la population qu’il faut canaliser, et qui dans la bouche de certains leaders peut prendre la forme d’un appel à la confrontation communautaire. Ça fait partie des motivations qui me poussent à m’engager un peu plus en politique, sous le format de cette élection présidentielle.

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Et c’est parce qu’elle a été mal définie qu’elle a été mal combattue. Le rapport de force avec elle pour lui permettre de s’approprier le cadre républicain et la sanctuarisation de l’individu dans la citoyenneté, n’ont pas marché jusqu’à présent, du fait de cette mauvaise définition.

 

 

Mozaikrim – Par rapport à cet objectif politique que vous manifestez, quel système de gouvernance penser, particulièrement dans un contexte où la transparence ne semble pas acquise ?

 

Qui parle de gouvernance, doit d’abord parler du mode de gouvernance et du positionnement de la gouvernance. A mes yeux, il existe d’abord un problème de souveraineté. Dès que j’ai commencé à faire des démarches pour être candidat, et à plus forte raison quand j’ai fait le dépôt de ma déclaration de candidature, tout de suite j’ai été contacté par certaines chancelleries pour convenir d’un entretien avec moi. Pourtant je n’ai pas changé, je suis toujours le même, et je n’ai jamais été contacté auparavant. Donc je pense que la souveraineté est un mot important dans la définition de la gouvernance.

 

Le fait que les bailleurs, les partenaires internationaux, techniques au développement, comme ils sont communément dénommés, veuillent définir ce qu’est la transparence dans la gouvernance, le problème est déjà là. En termes de gouvernance, nous avons des exemples propres dans notre histoire commune. Nous devons nous référer à nos réalités. Nous ne refusons pas de prendre comme référence éventuellement des gouvernances de pays tiers et même partenaires, mais la force motrice de tout cela, doit être intrinsèque à nous-mêmes. Et à ce moment là, la transparence voudra dire quelque chose. La transparence c’est vis-à-vis de nous-mêmes, vis-à-vis de nos réalités, de l’analyse que nous faisons du rapport de forces entre les différents courants politiques dans le pays, et avec nos partenaires; que ce soit dans le cadre diplomatique ou dans le cadre de la capacité à trouver des fonds pour financer notre développement.

 

A partir du moment où tout cela est bien défini, les priorités doivent être déterminées par nous-mêmes, et nous devons être capables de mettre en place un fonds souverain qui va commencer à payer les études de notre vision du développement économique et social, et même démocratique. Ainsi, quand les partenaires au développement manifestent un intérêt pour nous, on peut les orienter dans les axes ou secteurs de développement que nous analysons comme opportun à cet instant. A mon sens, ça participera à accélérer notre développement, les bailleurs de fonds, des alter ego à ce moment-là, auront simplement un rapport de financement avec nous. La souveraineté de notre transparence est donc le plus important à mes yeux.

 

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Propos recueillis par

 

 

 

 

Source : Mozaikrim– (Le 13 juin 2024)

 

 

 

 

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