« L’Histoire de Souleymane » : l’odyssée d’Abou Sangare, interprète éblouissant récompensé à Cannes

Depuis six ans en France, le jeune Guinéen de 23 ans, qui tient le rôle principal du film de Boris Lojkine présenté dans la section Un certain regard, vient de se voir refuser sa régularisation. Il a reçu, vendredi, le prix du meilleur acteur.

Le Monde – Lorsqu’il lève ses yeux du gobelet de thé qu’il retient, les yeux de Sangare glissent délicatement sur vous. L’Histoire de Souleymane, le long-métrage de Boris Lojkine dont il interprète le personnage principal, a reçu, vendredi 24 mai, le Prix du Jury dans la section Un certain regard, et le comédien, celui du meilleur acteur.

Soit l’histoire de Souleymane, un jeune Guinéen à Paris qui, en attendant d’obtenir sa demande d’asile, jongle avec la vie de clandestin, main-d’œuvre bon marché pour applis de livraison à vélo, bringuebalé de dortoir en soupe populaire, arnaqué quand se peut, habitant des nuits sans sommeil sur lesquelles nous fermons l’œil tant qu’elles ne viennent pas perturber les nôtres.

Sangare, lui, est mécanicien, et il vit à Amiens depuis six ans. La différence s’arrête là. Dans la vraie vie, l’acteur a le calme de son alter ego de cinéma, la même résistance à la misère puisant sa force dans une résilience pacifique en apparence inaltérable. En plein tournage, à l’angle des rues de Châteaudun et de Maubeuge, à Paris, une dame tombe en panne avec sa voiture. Le réalisateur voit Sangare poser son vélo, ouvrir le capot du véhicule, plonger dans le moteur, et expliquer à la dame comment rentrer chez elle avec des détails auxquels, raconte Boris Lojkine, lui-même ne comprend techniquement rien… Comme son personnage, Souleymane, le jeune acteur qui lui aussi attend d’être régularisé, a la générosité des démunis.

Abou Sangare est né le 7 mai 2001 à Sinko, dans le sud-est de la Guinée. Habitat épars, climat tropical, rues en terre. Le pays a connu, depuis l’indépendance, son lot de coups d’Etat et de bouleversements politiques, desquels, comme Souleymane, Sangare ne sait rien. Tout ça est bien loin de sa vie. Sa famille vit de polyculture : riz, manioc, quelques bœufs. Enfin, sa famille… sa mère. Il n’a pas connu son père, dont elle est la deuxième femme. Il a un frère aîné « qui va et vient », et une sœur qui a trouvé un mari à Conakry. Ils n’ont plus de contacts.

« Maladie du diable »

 

A 7 ans, l’enfant n’est déjà plus à l’école mais travaille dans un garage. C’est que sa mère est malade. « La maladie du diable. » C’est le nom qu’on lui donne là-bas. Des crises d’épilepsie, dont il ne saura d’ailleurs jamais l’origine : génétique, virale, tumeur ? C’est parce qu’ils n’ont pas les moyens de l’hospitaliser qu’à 15 ans il se décide à « sortir à l’aventure » – quitter le pays pour, comme des millions d’autres avant lui depuis que le monde est monde, aller chercher fortune.

Sa mère mourra peu de temps après son arrivée en France. Le trauma qu’il raconte, tout en tristesse retenue, dans les volutes de thé fumant, est encore si puissant que Boris Lojkine a décidé de l’introduire dans son film. Pour ce scénario très écrit – 180 pages de texte que le jeune mécanicien a dû apprendre –, le réalisateur, déjà remarqué avec Hope (2015) et Camille (2019), a en effet multiplié « les répétitions avec tous les acteurs pour remettre les mots dans leurs bouches ».

De Guinée, Sangare est donc remonté au Mali, confiant le peu d’argent qu’il possède à des passeurs. Le voici à Gao, en pays touareg. Le taxi collectif promis pour traverser le désert n’est pas là. C’était l’objectif initial : l’Algérie. Il erre pendant dix jours sans rien à manger pour finalement embarquer dans un camion-benne avec ses compagnons d’infortune, debout les uns contre les autres. Le voyage, qui doit durer un jour, en prendra sept, arrêté régulièrement par des « rebelles » qui réclament leur dîme. Lui, le gamin, n’a rien, ni argent ni famille pour envoyer un mandat. Le passeur paie pour lui, à charge, quand ils arriveront enfin à Timiaouine, dans l’extrême sud de l’Algérie, de le rembourser en travaillant gratuitement. « C’est là que tu as l’impression de devenir un esclave », confirme-t-il.

Hasard et nécessité

 

Nous sommes en 2017. Le gamin de 16 ans a fini par rejoindre Ghardaïa puis Alger, où il a gagné suffisamment en faisant le manœuvre pour passer en Libye, et de Tripoli, traverser la Méditerranée. Cent personnes dans un Zodiac. Les gardes-côtes libyens les interceptent. A la deuxième tentative, le Zodiac prend l’eau, un navire vient à la rescousse. Deux jours plus tard, Sangare débarque à Lampedusa (Italie), et de là va rapidement remonter vers la France : « En Guinée, on ne parle que français, c’était plus simple pour moi. »

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Source : Le Monde

 

 

 

 

 

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