Réflexion sur les défis démocratiques et les enjeux présidentiels de 2024 en Mauritanie

En cette période charnière pour notre République qui se trouve aux prémices d’une entrée dans l’ère démocratique, nous nous apprêtons à effectuer l’exercice le plus emblématique d’un régime démocratique : l’élection présidentielle, convoquée par décret présidentiel pour le mois de juin 2024. Nous en sommes actuellement au stade des déclarations de candidatures, en attendant l’officialisation par le Conseil Constitutionnel.

 

Cependant, un sentiment de résignation et de désespoir semble s’installer dans le pays, alimentant l’idée que le jeu est déjà joué et que le vainqueur est prédestiné. Objectivement, il est difficile de formuler des arguments contraires à cet état de fait.

Tout d’abord, la validation des candidatures par le Conseil Constitutionnel pose question. Notre législation exige, parmi les conditions de validation des candidatures à l’élection présidentielle, le parrainage par des élus municipaux, incluant au moins cinq maires parmi les 100 parrains requis. La quasi-totalité de ces élus sont encartés à actuellement INSAV. La validation des candidatures par le Conseil Constitutionnel est une étape cruciale du processus électoral, garantissant que seuls les candidats répondant à ces critères puissent se présenter à l’élection présidentielle. Cette condition vise à assurer que les candidats bénéficient d’un soutien substantiel de la part des représentants locaux de la population.

Des réformes pourraient être envisagées pour rendre ce processus plus démocratique et inclusif. Puisque l’idée c’est, nous dit-on, de s’assurer que les candidats bénéficient d’un soutien réel de la part des représentants locaux de la population, un parrainage de la part des populations directement devrait également être accepté. De plus, contrairement aux élections législatives, la présidentielle c’est un processus qui doit permettre l’émergence de tout citoyen, encarté politiquement ou non. Alors on se demande pourquoi les élus, majoritairement issus de formations politiques, devraient donner leur avis sur la légitimité d’un citoyen à se porter candidat à la magistrature suprême.

Ensuite, se pose la question de la maturité démocratique du système et de sa capacité à garantir l’alternance politique. La maturité démocratique d’un régime politique se mesure aussi à sa capacité à assurer une alternance régulière du pouvoir entre différents acteurs politiques. Dans notre pays cette alternance est actuellement entravée par des facteurs tels que des manipulations, le contrôle excessif de l’appareil d’État par le parti au pouvoir, le manque de confiance dans les institutions électorales etc. Le pays tout entier est témoin des accusations graves qui pèsent sur la CENI suite aux dernières élections législatives. Plusieurs irrégularités ont été dénoncées publiquement notamment la question des procès-verbaux, le manque de représentants, d’observateurs concurrents et indépendants des bureaux de vote. De plus certains partis politiques ont demandé le recomptage de voix sans gain de cause.

On peut également s’interroger sur l’intuition même de la CENI qui est un démembrement d’un ministère hautement régalien, son indépendance véritable et des moyens dont elle dispose réellement pour mener à bien sa mission qui est très grande : « préparer, organiser, superviser l’ensemble de l’opération électorale, de la phase de validation du fichier électoral jusqu’à la proclamation provisoire des résultats et leur transmission au Conseil Constitutionnel pour proclamation définitive», selon les mots de son actuel président.

Enfin, mettons de côté ces deux premières problématiques, ou supposons qu’elles soient résolues dans un monde idéal. Reste alors la question cruciale : comment la population apprécie-t-elle le meilleur projet politique ?

Les élections sont l’occasion pour les candidats de présenter leurs projets politiques et leurs visions pour le pays. Cependant, dans de nombreux cas, les campagnes électorales se concentrent davantage sur des constats impuissants des dysfonctionnements ou des critiques de l’adversaire que sur la proposition de solutions concrètes aux défis auxquels le pays est confronté. Les électeurs sont en droit d’attendre des candidats qu’ils aient une vision claire et cohérente pour le développement économique, social et politique du pays à moyen et long terme. Cela implique non seulement de proposer des programmes détaillés et réalisables, mais aussi de démontrer une compréhension profonde des problèmes nationaux et une capacité à mobiliser les ressources nécessaires pour les résoudre.

Plusieurs exemples illustrent ce propos : quelles réponses apportent les candidats sur les questions de justice, des droits de l’homme, de zones monétaires régionales, des politiques d’autosuffisance alimentaire, d’éducation…

Un autre aspect crucial souvent négligé par les politiques est la question du régime politique. Depuis l’indépendance, notre pays fonctionne sous un régime dit semi-présidentiel inspiré de la France, dans lequel le Président de la République dispose de pouvoirs étendus, souvent comparés à ceux d’une monarchie. Cependant, cette concentration de pouvoir entre les mains d’un seul individu entraîne des dérives autoritaires et des risques pour la stabilité et la démocratie du pays. Ainsi, il est pertinent de se demander si un changement constitutionnel ne serait approprié.

La démocratie propose plusieurs possibilités de régimes constitutionnels parmi lesquels figure le flamboyant régime parlementaire, où le pouvoir est plus largement partagé entre le chef du gouvernement et le parlement. Sous un tel régime, le chef du gouvernement, issu du parlement, serait également investi de la légitimité démocratique nécessaire. Ce même chef de gouvernement serait responsable devant le parlement, il sera plus facile de le sanctionner via des motions de censure que d’attendre les prochaines échéances présidentielles qui feront perdre 5 ans au pays. Cette transition vers un système politique plus équilibré et participatif pourrait contribuer à renforcer la démocratie et à assurer une représentation plus juste des intérêts des citoyens.

Ainsi, les électeurs devraient examiner attentivement les propositions des candidats concernant cette question fondamentale, et évaluer dans quelle mesure les candidats sont conscients et rigoureux dans leurs propositions.

En définitive, notre nation est confrontée à des défis cruciaux à l’approche de l’élection présidentielle. Veiller à ce que le processus électoral soit transparent et intègre en dénonçant fermement les irrégularités, les achats de voix et les manipulations politiques devrait être l’un des principaux enjeux de ces échéances. Cela requiert un engagement inébranlable de la part de tous les acteurs politiques et de la société civile pour surveiller attentivement le déroulement des élections et garantir le respect des principes démocratiques fondamentaux.

Un travail de sensibilisation du public sur ses conditions de vie et ses droits en tant que citoyen est essentiel. Une population informée et consciente de ses droits est essentielle pour encourager une participation active et éclairée dans le processus politique. Cette conscientisation peut renforcer la responsabilité des dirigeants politiques et promouvoir une gouvernance plus transparente et réactive aux besoins de la population.

Pour garantir une véritable démocratie, il est essentiel de renforcer l’indépendance et l’impartialité des organes de régulation électorale, de promouvoir la participation citoyenne et de lutter contre la corruption et les abus de pouvoir. C’est, pour ma part, le principal enjeu de cette présidentielle 2024.

 

 

 

Aboubacry LAM

 

 

 

(Reçu à Kassataya.com le 26 avril 2024)

 

 

Les opinions exprimées dans cette rubrique n’engagent que leurs auteurs. Elles ne reflètent en aucune manière la position de www.kassataya.com

Diffusion partielle ou totale interdite sans la mention : Source www.kassataya.com

Quitter la version mobile