« Esclaves », de Kangni Alem : une plongée du Dahomey au Brésil parmi les acteurs de la traite transatlantique

LE LIVRE DE LA SEMAINE. Avec sa trilogie, dont le premier tome vient d’être réédité, l’écrivain togolais ambitionne de démêler l’écheveau de l’esclavage des deux côtés de l’Océan.

Le Monde  – Au milieu du XIXe siècle, alors que le commerce esclavagiste transatlantique a été aboli en 1815, des bateaux négriers clandestins sillonnent encore les mers. Les acteurs et bénéficiaires de la traite sont nombreux, européens comme africains, pour qui les bénéfices à tirer de ce système (avantages financiers, pouvoir politique, économique, prééminence de certains peuples sur d’autres…) priment sur les considérations humanitaires.

Nouvellement réédité, Esclaves (éd. Graines de pensées), superbe roman de l’écrivain togolais Kangni Alem, met en scène la complexité de cette situation et, à travers tout une galerie de personnages – trafiquants, marchands, hommes d’influence portugais, anglais, français, américains, ainsi qu’hommes de pouvoir africains et bien sûr esclaves –, incarne les intérêts en jeu.

Le cadre choisi par le romancier est celui de l’ancien royaume du Dahomey, ainsi que, de l’autre côté de l’Atlantique, le Brésil et Cuba. On suit en particulier le destin du roi Adandozan (1793-1861), dont la souveraineté va être mise à mal en raison de sa largesse d’esprit, certains hommes au sein même de sa cour considérant ses idées abolitionnistes comme un signe de faiblesse.

L’autre personnage central de l’intrigue se situe à l’autre bout du spectre du pouvoir, malgré ses savoirs occultes de « maître des rituels ». Manipulé par ceux qui en veulent au roi et en même temps victime des trafiquants d’esclaves, il va se laisser capturer avec le maigre espoir de sauver les siens, déportés avant lui vers Cuba. Hélas, c’est au Brésil qu’il débarquera d’abord et devra supporter sa nouvelle vie sous le nom de Miguel. Son retour en terre africaine aura lieu vingt-quatre années plus tard.

Pièces officielles et arrière-cours

 

« Je voulais écrire une fiction historique sur l’organisation de la traite esclavagiste dans le golfe du Bénin ainsi que sur ceux que l’on appelle chez nous les Aguda, les Africains déportés en Amérique du Sud et devenus des Afro-Brésiliens, explique Kangni Alem. Beaucoup sont restés au Brésil, d’autres sont revenus, comme le héros de mon roman, et ont donné naissance à de nouvelles générations d’hommes longtemps coupés de leurs racines africaines et porteurs d’une culture afro-brésilienne. »

On est séduit par l’ampleur du projet du romancier, dont l’ambition est en réalité de produire une trilogie. Après Esclaves, dont le mouvement allait du Dahomey au Brésil a paru Les Enfants du Brésil (2017), consacré aux fameux Agudas. En 2025 paraîtra le troisième livre, avec la figure centrale de Sylvanus Olympio, né au Togo, premier président du pays après l’Indépendance et descendant lui aussi d’Afro-Brésiliens.

L’une des grandes réussites d’Esclaves est sans doute aussi l’émerveillement que Kangni Alem parvient à susciter, tout au long du livre, nonobstant la gravité du sujet. On a plaisir à découvrir avec lui l’organisation politique du Dahomey ancien, l’étiquette, les coulisses de la cour depuis les pièces officielles jusqu’aux chambres et arrière-cours privées, des intrigues de pouvoir aux liaisons amoureuses.

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Esclaves, de Kangni Alem (éd. Graines de pensées, Lomé, Togo, 2024 ; JC Lattès, 2009).

 

 
 

 

 

Source : Le Monde – (Le 31 mars 2024)

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