
Le Monde – Le tour de force est historique. Dix jours avant l’élection présidentielle, le 14 mars, Bassirou Diomaye Faye était encore un prisonnier du pénitencier du cap Manuel, situé à l’extrême sud de Dakar. Lundi 25 mars, au lendemain du scrutin et au terme d’un scenario imprévisible, marqué par une crise politique et institutionnelle, une campagne électorale éclair et, pour finir, la reconnaissance de sa victoire par son principal adversaire, le voici en homme libre prêt à s’installer au palais présidentiel sénégalais pour les cinq prochaines années. Futur plus jeune chef de l’Etat de l’histoire du pays, à 44 ans, il l’a emporté dès le premier tour.
Si les résultats officiels n’ont pas encore été rendus publics, les chiffres égrainés bureau de vote par bureau de vote donnent une avance que personne n’avait vu venir à ce candidat antisystème. « Au regard des tendances des résultats de l’élection présidentielle et en attendant la proclamation officielle, je félicite le président Bassirou Diomaye Diakhar Faye pour sa victoire dès le premier tour », a publié l’ex-premier ministre Amadou Ba dans un communiqué. Une déclaration suivie peu de temps après par un message de félicitations du président Macky Sall sur le réseau social X. Ces mots ont permis de tourner la page d’une élection présidentielle agitée où la tradition démocratique sénégalaise a été mise à rude épreuve – mais a finalement résisté. S’il a présenté son élection comme « le choix de la rupture », le nouveau président n’en a pas moins placé la « réconciliation nationale » parmi ses « chantiers prioritaires », lors de sa première prise de parole depuis l’annonce de sa victoire, lundi 25 mars au soir.
Pour lui, comme pour les Sénégalais qui viennent d’assister au report inédit d’un mois de l’élection présidentielle, rien ne s’est passé comme prévu. Bassirou Diomaye Faye ? Il y a un an, qui connaissait le numéro deux du parti des Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef), principale formation d’opposition dissoute par les autorités en juillet 2023 ? Cet homme discret a pour la première fois fait parler de lui lors de son arrestation, le 14 avril 2023, à la suite d’un message diffusé sur Facebook dans lequel il dénonçait la « clochardisation » de la magistrature, ce qui lui a valu d’être incarcéré pour « atteinte à la sûreté de l’Etat ».
« Un moral inébranlable »
Huit mois plus tard, seule sa proximité avec le leader de l’opposition Ousmane Sonko semblait expliquer sa désignation comme candidat de l’ex-Pastef. Un « plan B » destiné à pallier l’absence annoncée de son mentor dans la course à la présidentielle en raison de ses condamnations par la justice. Il n’était d’ailleurs pas le seul à jouer ce rôle de candidat bis, M. Sonko ayant aussi envoyé Cheikh Tidiane Dièye et Habib Sy déposer leur dossier de candidature pour être certain que ses idées seraient représentées. « Les partisans de Sonko ont choisi Faye pour respecter la consigne de vote, mais pas pour ce qu’il est. C’est une candidature de substitution dont le but était d’augmenter les chances d’Ousmane Sonko d’être représenté », estime Aliou Ndiaye, analyste politique.
« Diomaye moy Sonko, Sonko moy Diomaye » (« Diomaye c’est Sonko, Sonko c’est Diomaye », en wolof), le slogan scandé par tous les cadres de l’opposition, était destiné à populariser le nom de leur candidat. Cela a fonctionné : lorsque, le 14 mars au soir, Bassirou Diomaye Faye est sorti de prison aux côtés de M. Sonko – élargi lui aussi – au bénéfice d’une loi d’amnistie de dernière minute, la foule scande de concert les deux noms. C’est le début de dix courts jours de campagne électorale pour un candidat qui n’avait jusque-là jamais été élu.
Au sein du Pastef, Bassirou Diomaye Faye jouait un rôle de l’ombre, stratège d’un parti dont il a élaboré le programme présidentiel de 2019 et continuait de penser la stratégie. « En prison, ses conditions de vie étaient difficiles car il subissait beaucoup de restrictions, témoigne Ousseynou Ly, membre de la cellule communication du secrétariat national du Pastef. Mais il avait un moral inébranlable. Il ne parlait que du [programme électoral] et était porté par ça. »
M. Faye a la confiance d’Ousmane Sonko, dont il est un ami de longue date. Les deux hommes se connaissent depuis qu’ils sont entrés aux impôts et domaines, dans les années 2010, une puissante administration à l’époque dirigée par… Amadou Ba. Quand Ousmane Sonko est arrêté dans une affaire de viol présumé en 2021, c’est M. Faye qui est chargé d’assurer l’intérim à la tête de la formation politique.
« Le Sénégal tiendra toujours son rang »
A charge désormais pour le nouveau chef de l’Etat de tisser un lien avec les Sénégalais, dont les espoirs et les attentes sont à la hauteur de la « rupture » promise par l’opposant et son parti. Ces dernières années, l’ex-Pastef n’a cessé de pourfendre l’élite sénégalaise, dénonçant la corruption, la mauvaise gouvernance, l’accaparement des richesses et ses liens d’asservissement envers les puissances occidentales, France en tête.
Un discours souverainiste, « panafricaniste de gauche », brandi par le président sortant, Macky Sall, comme un épouvantail et qui n’a cessé d’alimenter des craintes parmi les partenaires internationaux du Sénégal. Dès son premier discours de président élu, Bassirou Diomaye Faye a tenté de les rassurer : « Je voudrais dire à la communauté internationale, à nos partenaires bilatéraux et multilatéraux que le Sénégal tiendra toujours son rang, il restera le pays ami et l’allié sûr et fiable de tout partenaire qui s’engagera avec nous dans une coopération vertueuse, respectueuse et mutuellement productive. »
Source : Le Monde
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