De la dignité du peuple palestinien

La paix avec Israël reposera sur la négociation des conditions de la défaite du peuple palestinien, dont l’exigence fondamentale de dignité devra enfin être reconnue, estime Jean-Pierre Filiu dans sa chronique hebdomadaire au « Monde ».

Le Monde  – « Nous espérons que cette guerre s’achèvera en respectant notre dignité, sans nous humilier à la face du monde. » Ainsi parle Oum Khaled Jundia depuis son abri de fortune à Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza. Elle s’exprime devant la caméra d’un de ces journalistes palestiniens qui risquent leur vie pour témoigner des souffrances de leurs compatriotes.

La quadragénaire décrit d’une voix épuisée comment sa famille a tout perdu avec le bombardement de leur maison dans le nord de l’enclave et comment ils ont dû fuir, puis fuir encore pour s’entasser désormais dans un refuge insalubre. Elle évoque les tués et les blessés, les civils enfouis sous les décombres et l’absence de toute aide humanitaire depuis un mois.

Mais elle martèle son exigence de « dignité », invoquant le sacrifice des personnes et des biens pour que jamais les négociateurs ne cèdent sur ce qui est à ses yeux l’essentiel. Car c’est bien cette exigence de dignité qui est constitutive de la revendication palestinienne d’un Etat indépendant.

Le tournant de Karama

La conscience collective du peuple palestinien est marquée par le traumatisme fondateur de la Nakba, cette « catastrophe » de 1948 où plus de la moitié de la population arabe de Palestine a été déracinée de ses foyers, alors qu’Israël s’établissait sur les trois quarts du territoire de la Palestine, jusque-là sous mandat britannique. Les Etats arabes ne reconnaissaient pas plus les aspirations à l’indépendance du peuple palestinien, réduit à n’être qu’une communauté dispersée de réfugiés.

Ce n’est que très progressivement qu’émergèrent différents groupes de fedayins, ainsi que les combattants palestiniens furent dénommés. En invoquant la lutte armée pour la « libération de la Palestine », Yasser Arafat et ses partisans du Fatah aspiraient à transfigurer le réfugié-victime en militant maître de son propre destin. Le parallèle a d’ailleurs pu être tracé avec le volontarisme sioniste, dans sa transformation du juif opprimé en défenseur armé de sa terre et de son peuple.

En juin 1967, la guerre des Six-Jours se conclut par l’occupation israélienne de Jérusalem-Est, de la Cisjordanie et de la bande de Gaza. Arafat s’infiltre en Cisjordanie, parvient à échapper à la traque israélienne, mais échoue à déclencher un soulèvement généralisé. Il implante en revanche des bases du Fatah sur la rive orientale de la vallée du Jourdain, notamment dans la localité de Karama qui, par un hasard de la géographie, signifie « dignité ». En mars 1968, les fedayins refusent de se replier malgré l’imminence d’une offensive israélienne. Une centaine de combattants palestiniens, ainsi qu’une soixantaine de militaires jordaniens, sont tués dans l’assaut où périssent une trentaine de soldats israéliens.

Dix-sept fedayins ont préféré s’enterrer à mi-cuisse pour résister jusqu’au bout, d’où le nom de « Force 17 » qu’Arafat donnera à sa garde personnelle en leur hommage. La base de Karama a beau avoir été détruite, le message de « dignité » auquel cette bataille est dorénavant associée entraîne une vague d’adhésion au Fatah, qui prend, l’année suivante, le contrôle de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), auparavant inféodée à l’Egypte.

La « dignité d’un départ »

Arafat et l’OLP, expulsés de Jordanie après la crise du « septembre noir », en 1970, implantent ensuite un véritable « Etat dans l’Etat » au Liban. Israël dénonce la menace « terroriste » à sa frontière nord et, en juin 1982, le premier ministre Menahem Begin décide d’envahir le Liban pour y écraser l’OLP. Arafat et une dizaine de milliers de fedayins sont assiégés dans Beyrouth-Ouest durant près de trois mois sans que l’Etat hébreu puisse proclamer sa victoire militaire.

C’est pour éviter à l’armée israélienne les pertes humaines et l’impact désastreux d’une guerre urbaine que François Mitterrand convainc son homologue américain, Ronald Reagan, d’organiser l’évacuation des fedayins sous la supervision d’une « force multinationale ». A Begin qui l’accuse de sauver des « terroristes » et leur chef, Mitterrand répond qu’il préserve ainsi en l’OLP l’interlocuteur d’un futur accord de paix avec Israël. Et alors que le mandat des troupes américaines à Beyrouth est d’assurer « la sécurité physique du personnel palestinien en instance de départ », celui du contingent français est de garantir également « la dignité de son départ ».

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Source : Le Monde 

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