Bassem Youssef, une ironie grinçante sur le conflit Israël-Hamas

« Le rire malgré tout » (5/13). Les extraits de ses interviews grinçantes sur le bombardement de Gaza par Israël qui ont été vus des millions de fois ont connu une forte résonance dans le monde arabe. Bête noire du pouvoir égyptien, l’ancien cardiologue avait été contraint à l’exil aux Etats-Unis, en 2014.

M Le Mag – « C’est lassant à la fin. Ces Palestiniens en font toujours trop, répétant qu’Israël veut les tuer. Mais ils ne meurent jamais. Ils reviennent toujours. Ce sont des gens très difficiles à éliminer. Je suis bien placé pour le savoir, car je suis marié à une Palestinienne. J’ai beau avoir essayé plusieurs fois, je n’ai jamais réussi à la tuer », lance Bassem Youssef, le 17 octobre, dans l’émission « Piers Morgan Uncensored », sur la chaîne britannique TalkTV. Il ajoute : « Elle se sert de nos enfants comme boucliers humains. » L’ironie grinçante de l’humoriste parvient à peine à arracher un sourire gêné au journaliste Piers Morgan.

Comment rire en pleine guerre d’Israël contre le Hamas ? L’humoriste égyptien de 49 ans, qui vit à Los Angeles, choisit l’absurde pour dénoncer les bombardements massifs de l’armée israélienne sur Gaza. Interrogé sur la proportionnalité de cette réponse, il brandit un tableau recensant les morts dans chaque camp lors des précédentes guerres et compare ces chiffres tragiques aux fluctuations de cryptomonnaies. « Quel est le cours actuel d’une vie humaine ? », s’interroge Bassem Youssef, les bras croisés et les yeux écarquillés dans une grimace comique.

En quelques jours, la vidéo est devenue virale : elle a été visionnée plus de 21 millions de fois rien que sur YouTube. « Au Proche-Orient, la cause palestinienne est un facteur d’unité malgré les divisions politiques, explique Maha Nagy, l’ancienne agente de Bassem Youssef qui a travaillé pendant cinq ans avec lui au Caire. Le thème est explosif. Bassem est capable avec ses propres mots d’exprimer la frustration de tout le monde arabe face au discours dominant dans les médias occidentaux sur le conflit israélo-palestinien. » La séquence relance sur le devant de la scène l’humoriste aux yeux bleus et à la gouaille ravageuse, qui avait fait ses premiers pas en Egypte.

« Aucune déférence envers l’autorité »

Il s’est fait connaître en 2011 dans le sillage des manifestations qui ont entraîné la chute du régime du président Hosni Moubarak. Issu du quartier huppé de Zamalek, au Caire, fils d’un juge et d’une professeure, Bassem Youssef, qui a alors 37 ans, est à cette époque cardiologue. Il participe à l’évacuation des blessés depuis la place Tahrir assaillie par les forces de police. Quelques jours plus tard, il troque sa blouse blanche pour un costume de présentateur parodique. Avec quelques amis, il lance une chaîne YouTube, baptisée le « B + », qui singe les émissions diffusées par les médias d’Etat. Ses seuls-en-scène de cinq minutes, tournés dans sa buanderie, connaissent un succès fulgurant.

Après une vingtaine d’épisodes regardés des millions de fois, la chaîne privée CBC, fondée dans le sillage de la révolution, lui propose de lancer sa propre émission. Baptisée « Al-Bernameg » (« le programme »), elle peut se vanter d’être le premier talk-show satirique de l’histoire de la télévision égyptienne. Bassem Youssef devient le chantre de la liberté d’expression, ultra-populaire surtout dans les milieux libéraux. « Les Egyptiens sont connus dans toute la région pour leur esprit sarcastique, raconte Maha Nagy, désormais consultante dans le monde des médias. Bassem a incarné cet humour. Les rues étaient vides les soirs du show, les gens se rassemblaient dans les cafés pour l’écouter ou organisaient des soirées chez eux, agglutinés derrière leur télé. »

Dans « Al-Bernameg », l’animateur invite des artistes, des écrivains, des élus. Les blagues s’attaquent à tout le spectre politique, n’épargnant ni les Frères musulmans et le président Mohamed Morsi, élu en 2012, ni le régime d’Abdel Fattah Al-Sissi arrivé au pouvoir en juillet 2013 à la suite d’un coup d’Etat. « Sur une télévision grand public, l’émission est parvenue à se faire le relais d’une satire politique très audacieuse qui germait depuis une décennie sur les forums et les réseaux sociaux, analyse Hesham Sallam, chercheur à l’université Stanford, qui a accueilli Bassem Youssef en tant que chercheur invité en 2016. L’émission a incarné l’esprit subversif qui se propageait alors dans la société égyptienne et qui, pour le meilleur comme pour le pire, ne montrait aucune déférence envers l’autorité et les hiérarchies traditionnelles. »

« Personne ne croit à son retour »

Alors que la fenêtre de libertés ouverte par la révolution de 2011 se referme soudainement, Bassem Youssef s’attire les foudres des autorités et subit de nombreuses pressions, d’abord de la part des islamistes, puis des partisans du régime militaire. Accusé d’avoir insulté le président Morsi, il a même été arrêté quelques heures début 2013. La chaîne CBC finit par suspendre la diffusion des épisodes en novembre 2013. Maintes fois menacé de mort, l’humoriste choisit de s’exiler aux Etats-Unis en 2014. Il y publie un livre, Revolution for Dummies (« la révolution pour les nuls », Day Street Books, 2017, non traduit), et travaille sur des seuls-en-scène en arabe et en anglais qu’il joue à travers le monde.

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Source : M Le Mag – (Le 26 décembre 2023)

 

 

 

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