– A Abidjan, Junior Beugré résume en deux mots le vade-mecum du pari sportif : « Il faut de la technique et du flair », détaille ce tenancier d’un stand de la Loterie nationale de Côte d’Ivoire (Lonaci). Les aspects pratiques, eux, ne sont qu’une formalité. Il suffit d’avoir téléchargé l’application d’un bookmaker, d’une connexion Internet et de petits montants. Chez 1XBet, dont Junior Beugré est un client fidèle, les mises démarrent à 90 francs CFA (0,13 euro).
Le site, l’un des trois opérateurs agréés en Côte d’Ivoire, est omniprésent ces temps-ci. Partenaire officiel de la Coupe d’Afrique des nations (CAN) 2024, dont le coup d’envoi sera donné à Abidjan le 13 janvier, il s’est offert les services de quatre influenceurs ivoiriens pour le lancement de sa campagne « Rejoins mon Gbonhi ! » (« Rejoins mon équipe ! » en nouchi, l’argot ivoirien) début 2023. Ses affiches tapissent les murs de la capitale économique ivoirienne, promettant une « FantasticCAN » aux adeptes des paris sportifs.
Ceux-là sont de plus en plus nombreux à courir après le gros lot en Côte d’Ivoire comme sur le reste du continent. « Bien sûr qu’il y a de gros gains ! », s’emballe Junior Beugré, même si lui-même dit perdre « tout le temps ».
Formidable poussée du secteur
Cette vision des paris sportifs comme source potentielle de revenus au sein d’une population en mal de perspectives économiques n’est qu’un des facteurs expliquant la formidable poussée du secteur au sud du Sahara. Comme 1XBet, plate-forme fondée en 2017 à Chypre, des dizaines de sociétés internationales nommées PremierBet, BetClic, SportPesa ou BetPawa s’y positionnent aujourd’hui. Elles espèrent capter les dividendes d’un marché encore vierge, peu régulé, où l’Internet mobile progresse aussi vite que la démographie.
Jusqu’au début des années 2000, la part du lion des jeux d’argent sur le continent revenait aux casinos, surtout fréquentés par les plus riches, les expatriés et les touristes. Mais le boom du téléphone portable et du paiement mobile a changé la donne. Selon des estimations de la société d’étude H2 Gambling Capital citées par l’agence Bloomberg, les Africains devraient avoir parié quelque 2,9 milliards de dollars (2,6 milliards d’euros) en ligne en 2023, soit cinquante fois plus qu’il y a dix ans.
« Grâce au numérique, le secteur s’ouvre très vite. Et dans des pays où la population est très jeune, il va y avoir un nombre grandissant de joueurs de plus de 18 ans », s’enthousiasme Ntoudi Mouyelo, directeur général de BetPawa, une plate-forme qui opère dans onze pays subsahariens à travers un système de franchise. Le tout selon un modèle 100 % numérique qui permet à la marque de se développer rapidement.
Ntoudi Mouyelo veut croire que la CAN « va augmenter le trafic des paris sportifs ». Mais ce sont surtout les matchs de la Premier League britannique et des championnats européens, où évoluent de nombreux joueurs issus du continent, qui canalisent l’intérêt – et l’argent – des parieurs.
La pratique « touche toutes les couches sociales »
« Si cette industrie marche si bien, c’est d’abord parce qu’elle a su tirer profit de la passion des Africains pour le football », analyse Tunde Adebisi, chercheur à l’université d’Ulster (Irlande du Nord). Selon ce Nigérian qui étudie les liens entre jeunesse et jeux d’argent en Afrique, la pratique « touche toutes les couches sociales ». Les plus modestes non équipés en smartphones peuvent se rendre dans les boutiques qui pullulent dans certains quartiers des grandes villes et jusque dans les zones rurales. Les autres jouent en solitaire derrière leur écran. Une discrétion très appréciée dans les pays où l’islam, qui proscrit les jeux d’argent, est dominant.
Pour attirer les clients, les bookmakers s’entourent de figures populaires du sport et du divertissement. 1XBet s’est choisi la star nigériane de l’afrobeats Davido comme ambassadeur officiel tandis que son concurrent PremierBet a topé avec l’ex-international et légende du football ivoirien Didier Drogba. « En voyant leurs héros faire la publicité des paris, les jeunes se disent que c’est du sérieux », poursuit M. Adebisi, persuadé que le secteur a, sur le continent, de beaux jours devant lui : « Le marché européen est saturé et les régulations y sont de plus en plus strictes tandis qu’en Afrique, elles restent minimales. »
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