Jeune Afrique – Des ombres monochromes projetées sur des aplats de couleurs vives ou pastel. Des silhouettes assises, insérées dans des quadrilatères piqués de motifs, ocelles inquisiteurs scrutant l’observateur intrigué. Si Amadou Sanogo était cinéaste, il filmerait ses saynètes africaines en ombres chinoises sur une toile de bogolan, cette étoffe teinte qui tient sa réputation de Ségou, ville qui a vu naître cet artiste peintre malien de 46 ans.
Au lieu de la caméra, Sanogo a choisi les pinceaux pour « raconter l’invisible », « Yebali Lakali » en bambara, nom de sa dernière exposition qui s’est tenue à la galerie Magnin-A, à Paris. « Mes yeux sont mes appareils photo. Il suffit que je maintienne mon regard », assure-t-il, les mains posées sur les genoux, l’œil fixe défiant son interlocuteur. Peut-être une façon de conjurer l’héritage du célèbre photographe malien Malick Sidibé dont les œuvres font, elles aussi, partie de la galerie d’André Magnin, marchand français d’art africain.
Peurs bleues
Si Malick Sidibé saisissait également ses contemporains dans des mises en scène de la vie quotidienne, sur des toiles de fond striées ou en damier, la comparaison s’arrête là. Au noir et blanc, Amadou Sanogo préfère la couleur travaillée dans une symbolique traditionnelle. « En Occident, on assimile le bleu à la couleur du ciel, de l’océan. Alors que chez les Bambaras le bleu représente la peur. C’est une couleur que j’utilise beaucoup dans mes peintures. Le rouge c’est la vie, la force. Le noir, la nuit, l’incertitude. Le vert est une couleur universelle qui représente la nature, l’avenir et beaucoup d’autres choses. Le jaune, c’est la richesse qui nous invite à l’optimisme, ou à la jalousie… »
Ce qui importe, c’est de transmettre une vérité, le reste n’est que conventions. Je ne cherche pas à ce que mes œuvres soient belles. La beauté fane rapidement, ça ne m’intéresse pas.
Amadou SanogoPeintre
Aux visages souriants, voire poseurs des sujets du maître photographe, il préfère les formes humaines méconnaissables. Pas de visage, les silhouettes sont à l’image du message : universel. Quant aux émotions, les couleurs s’en chargent déjà. « Ma curiosité m’amène à entrer en conflit avec la toile. Certaines œuvres me résistent. C’est un combat entre l’artiste et l’espace. » Ses choix artistiques sont parfois guidés par des facteurs exogènes. Depuis le début du conflit au Mali, en 2012, son art s’est « transformé », appuie Amadou Sanogo. Depuis, il s’affaire à reproduire des sans-visage. « Au Mali, on a beaucoup de professeurs et d’intellectuels, mais le pays est en train de sombrer. Ma réflexion picturale m’a amené à enlever les têtes pour mettre les corps en évidence. »
Dans un Mali fragilisé par la violence, où le tissu communautaire se déchire, le peintre se fait tisserand d’un nouveau contrat social. « L’art doit interpeller le génie créatif de chacun pour proposer quelque chose de concret, affirme-t-il. Après la guerre, comment faire pour que ça ne se reproduise plus ? Comment va-t-on vivre ensemble ? Je ne propose pas de solutions, mais je pose des questions. Nous sommes tous métissés. Nous partageons la même écharpe. Entre ethnies, c’est le Mali qui nous rapproche. »
Quête identitaire
De cette réflexion est née Pouvons-nous rester amis ? (2021). Sur un fond jaune optimiste, deux hommes rouges liés par une écharpe noire se regardent. Deux choix s’offrent à eux, par l’entremise d’autres toiles : enfiler des bottes crantées (symbole de résilience dans son œuvre) à l’instar d’On peut s’en sortir (2021), ou terminer en semi-cadavres tétanisés sous la couverture constellée d’une peur bleue dans le tableau Ensemble en guerre (2023).
« Le plus difficile, c’est de trouver une harmonie dans la toile pour que le public comprenne ce que j’essaie de dire. Ce qui importe, c’est de transmettre une vérité, le reste n’est que conventions, assène-t-il. Je ne cherche pas à ce que mes œuvres soient belles, ce n’est pas mon intention. La beauté fane rapidement, ça ne m’intéresse pas. » Loin de ne figurer qu’un symbolisme politique, l’œuvre de Sanogo s’attache avant tout à raconter sa vie personnelle et son environnement. « Je m’intéresse beaucoup à la notion de quête identitaire. »
Matteo Maillard
Source : Jeune Afrique – (Le 23 décembre 2023)
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