Mohammed Amer, nouvelle sensation palestinienne du stand-up américain

M Le MagPortraitLe rire malgré tout (1/13). Devenu figure de la scène comique américaine, ce natif du Koweït s’est fixé une mission : tordre le cou, par le rire, aux clichés auxquels sont confrontés les Arabes et les musulmans. A travers ses spectacles et sa série « Mo », diffusée sur Netflix, il offre un regard drôle et nuancé sur une communauté en quête de modèles.

Au volant de sa Mercedes noire, Mohammed Amer, 42 ans, roule vers les lieux de sa jeunesse. On aperçoit bientôt l’immense château d’eau qui annonce en lettres vertes « Alief », le quartier ouvrier de la banlieue sud de Houston, où il a grandi. Un coin de la ville où se succèdent les commerces chinois, pakistanais, égyptiens, mexicains, nigérians et où vivent ceux qui ont le moins, une population majoritairement latino et noire.

C’est là, à l’Alief Middle School, dans ce vaste ensemble en brique entouré de pelouses, que Mohammed Amer a passé sa première journée de classe aux Etats-Unis. Agé de 9 ans, il arrive tout droit du Koweït, où il est né en 1981 de parents palestiniens. Pour sa rentrée, ces derniers lui font enfiler, comme à l’école anglaise où il allait dans son pays natal, une tenue impossible : chemisette, gilet et nœud papillon. Les gamins en jeans, baskets et casquette lui fondent dessus, hilares : qu’est-ce que c’est ce type bizarre à l’accent british ? Lui assiste médusé aux battles de vannes pendant la récré et aux insultes qui fusent.

Cette scène, Mohammed Amer l’a rejouée dans sa série Mo, diffusée depuis 2022 sur Netflix. Cette autofiction, comique et touchante, raconte les tribulations des Najjar, une famille de réfugiés palestiniens exilés à Houston qui peinent à obtenir l’asile et la citoyenneté américaine. Sans passeport ici, sans passeport là-bas, ils n’existent nulle part. Un thème qui était déjà au cœur de The Vagabond (2018) et de Mohammed in Texas (2021), ses stand-up acclamés, également disponibles sur la plate-forme.

Méconnu en France, Mohammed Amer est, depuis plusieurs années, l’une des sensations montantes de la scène comique américaine. Il se fait connaître à la fin des années 2000 au sein du trio d’humoristes Allah Made Me Funny, formé avec Azhar Usman et Preacher Moss. Trois musulmans qui font rire, « un Indien, un Noir et un Arabe ». Du jamais-vu aux Etats-Unis.

Leur stand-up remplit les salles, avant de tourner dans vingt-deux autres pays. « C’était génial. On a fait le tour du monde sans manageur, ni gros moyens », se souvient le comédien. L’une des plus grandes stars du milieu, Dave Chappelle, le repère et lui propose de rejoindre sa bande – des humoristes qu’il fait se succéder pendant ses spectacles. Amer raconte sa vie, fait rire de ses galères et de ses névroses, de son parcours chaotique, de la vie de sa famille percutée par l’histoire.

Le doute et les larmes

 

L’exercice est périlleux, il l’est davantage depuis l’attaque terroriste du Hamas du 7 octobre et les représailles d’Israël à Gaza. Mohammed Amer l’admet : il a du mal à plaisanter. « Je me réveille chaque jour l’estomac et la gorge noués. Ce qui se passe en ce moment me brise le cœur », dit-il. Il sort un mouchoir en tissu pour s’éponger le visage. Il pleure. Pas un sanglot étouffé ou des larmes discrètes, mais un flot de douleur : « Qu’est-ce qu’on a le droit de dire ? On a le droit de dire “cessez-le-feu” mais on n’a pas le droit de dire : “Arrêtez de tuer des femmes ! Arrêtez de tuer des enfants ! Arrêtez de bombarder les hôpitaux ! Arrêtez de tuer !” Non, on n’a pas le droit. On a le droit de prendre position sur tout mais on n’a pas le droit de crier “Free Palestine” ! »

Ce « silence imposé » l’assomme de tristesse : « Les Palestiniens sont traités comme des sous-hommes, ils sont moins considérés que des chiens. C’est effrayant, terrifiant d’entendre ce qu’on dit des Palestiniens depuis le début de la guerre. » Il a condamné sans ambiguïté les attaques du Hamas. Le 13 octobre, sur son compte Instagram, il écrivait : « Je réprouve la violence indiscriminée et le massacre de civils innocents. Il n’y a rien de nuancé là-dedans. »

 

Mohammed Amer au Buffalo Bayou Park, à Houston, début décembre 2023.

 

Aujourd’hui plongé dans l’écriture d’un nouveau spectacle et de la seconde et dernière saison de Mo, il avoue se sentir un peu perdu. Ces dernières semaines, il teste des textes sur scène, devant un public restreint, lors de stand-up organisés au dernier moment. Il observe autour de lui que les conversations se tendent et que les amitiés se brisent. Lui-même a du mal à écrire. Que dire de la guerre qui soit audible ? Comment peut-il encore rire et faire rire de sa propre histoire ?

Petit-fils de natifs d’Haïfa, contraints au départ à la création d’Israël en 1948, il doit à son tour fuir le Koweït avec ses parents quand la guerre du Golfe éclate en 1990. Il s’imagine qu’ils vont « rentrer » en Cisjordanie, où vit une partie de la famille, mais sa mère embarque les enfants dans un long périple, de Bagdad, en Irak, à Amman, en Jordanie, avant de les confier à des proches qui les conduisent au Texas où de vagues connaissances résident. Elle retourne au Koweït pour sortir son mari de prison. Accusé d’espionnage par les autorités de l’émirat, comme beaucoup de Palestiniens alors soupçonnés de sympathie avec l’Irak, l’ingénieur télécom est enfermé et torturé de longues semaines. Parents et enfants se retrouvent à Houston quelques mois plus tard, mais ils y sont seuls, séparés des leurs oncles, tantes et cousins qui ont émigré en Jordanie.

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Source : M Le Mag

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