
Courrier international – Issam Abdallah, 37 ans, a été tué alors qu’il travaillait avec six journalistes à proximité de la frontière avec Israël. Deux collègues de Reuters, deux journalistes de la chaîne Al Jazeera, et deux de l’AFP ont été blessés, dont la photographe Christina Assi, 28 ans, grièvement atteinte, qui a subi une amputation de la jambe droite et reste hospitalisée.
Ces reporters étaient venus couvrir les affrontements transfrontaliers entre l’armée israélienne et des groupes armés dans le sud du Liban, où la communauté internationale s?inquiète du risque d?extension du conflit entre Israël et le Hamas.
L’AFP a enquêté en analysant et en recoupant les images de six médias présents ce jour-là avec les témoignages de journalistes, d’habitants et de sources sécuritaires, et en interrogeant plusieurs experts en armement.
Ces sept semaines d?investigations, menées conjointement avec le collectif britannique d’experts et d’enquêteurs indépendants Airwars, montrent qu’un obus de char de 120 mm stabilisé par des ailettes, exclusivement utilisé par l’armée israélienne dans la région, est à l’origine de la frappe mortelle.
La succession de deux frappes, espacées de 37 secondes, montre qu’elles étaient ciblées, soulignent les experts interrogés par l’AFP et Airwars. Les journalistes étaient par ailleurs clairement identifiables.
Deux autres investigations menées séparément par les organisations de défense des droits humains Human Rights Watch (HRW) et Amnesty International, que l’AFP a pu consulter avant leur publication, désignent toutes deux « des frappes israéliennes ».
HRW a condamné « une attaque apparemment délibérée contre des civils » qui « devrait ou pourrait faire l’objet de poursuites pour crime de guerre ».
Pour Amnesty, « il s’agit vraisemblablement d?une attaque directe sur des civils qui doit faire l’objet d’une enquête pour crime de guerre ».
Le 14 octobre, les autorités libanaises ont accusé Israël d’être responsable du tir, évoquant un « meurtre délibéré ».
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© AFP/Archives Le journaliste de Reuters Issam Abdallah tué le 13 octobre 2023 dans un bombardement dans le sud du Liban, ici lors d’une manifestation devant le siège de l’ONU à Beyrouth, le 15 octobre 2023 |
Sollicitée par l’AFP sur les conclusions de son enquête conjointe avec Airwars, l’armée israélienne n’a pas répondu.
Elle s’était dite dans un premier temps « très désolée » de la mort du journaliste Issam Abdallah, sans reconnaître sa responsabilité, affirmant mener des « vérifications ».
« L’AFP a été très claire qu’elle poursuivrait tous les moyens judiciaires qu’elle juge possibles et pertinents pour s’assurer que justice soit rendue pour Christina et Issam », a déclaré le directeur de l’Information de l’AFP Phil Chetwynd.
Les frappes
Il est 18H02, ce vendredi 13 octobre, lorsque deux frappes successives s’abattent sur le groupe de journalistes positionné sur les hauteurs d’Alma el-Chaab, village situé à plus d’un kilomètre de la « Ligne bleue », la ligne de démarcation entre le Liban et Israël surveillée par l’ONU.
© AFP/Archives Frappe israélienne sur le village d’Alma el-Chaab, le 13 octobre 2023 dans le sud du Liban |
Des échanges de tirs quasi quotidiens opposent l’armée israélienne aux combattants chiites du mouvement libanais pro-iranien Hezbollah et à la branche locale du mouvement islamiste palestinien Hamas, faisant craindre une extension du conflit provoqué par les attaques sans précédent du Hamas contre Israël le 7 octobre.
Au Liban, les tirs et bombardements israéliens ont fait plus de 110 morts, dont une majorité de combattants du Hezbollah et plus d’une dizaine de civils incluant trois journalistes, selon un décompte de l’AFP. Au moins six soldats israéliens et trois civils ont été tués en Israël dans les attaques en provenance du Liban, selon les autorités.
Arrivés sur place environ une heure plus tôt, les sept journalistes sont postés au sommet d’une petite colline offrant une vue dégagée pour filmer en direct les bombardements israéliens qui s’intensifient au fil de l’après-midi. L’armée israélienne confirme procéder à des tirs d’artillerie en riposte à une tentative d’infiltration sur son territoire.
© AFP/Archives La photographe de l’AFP Christina Assi, le 13 octobre 2023 à la frontière libano-israélienne |
Tous les reporters sont équipés de casques et de gilets pare-balles estampillés « presse », derrière leurs caméras posées en évidence sur des trépieds, comme le montre une vidéo tournée au téléphone et postée sur le compte Instagram de Christina Assi peu après 17H00. En arrière-plan, on aperçoit au loin des colonnes de fumée s’élever des vallons boisés à l’endroit des frappes.
Les correspondants d’Al Jazeera Carmen Joukhadar et Elie Brakhya, premiers à être arrivés sur place, ont été rejoints par les journalistes de l’AFP Dylan Collins et Christina Assi, et leurs collègues de Reuters, Issam Abdallah, Thaer Al-Sudani et Maher Nazeh.
« Nous avions passé environ une heure à filmer une colonne de fumée lointaine au sud, ainsi que quelques bombardements israéliens limités le long des collines au sud-est. Juste avant 18 heures, nous avons tourné nos caméras vers l’ouest et tout à coup, nous avons été touchés. C’est sorti de nulle part », témoigne le vidéojournaliste de l’AFP Dylan Collins.
Paris (AFP)
Source : Courrier international
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