Côte d’Ivoire a ouvert ses portes en septembre. Mais, fin novembre, l’établissement privé ne comptait encore aucun résident. Une telle initiative suscite des réticences dans un pays où l’accompagnement des personnes âgées se fait traditionnellement dans les familles.
La première maison de retraite de« Plusieurs personnes intéressées m’ont appelée, parfois des personnes âgées elles-mêmes », assure Nina Zougo, fondatrice de cet établissement pionnier. Mais personne n’a encore sauté le pas pour y séjourner. Située en périphérie d’Abidjan, à Bingerville, cette maison rénovée, spacieuse, est équipée de sept lits adaptés et d’un personnel formé à la gériatrie. « Il faut dire qu’en Côte d’Ivoire, abonde Arlette Monney, l’une de ses associées, l’idée d’une maison de retraite n’est pas encore adoptée par tous. »
Qui s’occupe alors des personnes âgées ? « Dans 80 % des cas, ce sont des membres de la famille », dans d’autres « c’est le voisinage », répond le sociologue ivoirien spécialiste du vieillissement, Arnaud Dayoro. Une solidarité « mécanique », selon l’universitaire, dans un pays où, comme ailleurs en Afrique, le respect des aînés est une base fondamentale des rapports sociaux.
« Je vais mourir vite »
A Attécoubé, quartier populaire de l’ouest d’Abidjan, deux colocataires à la retraite, assises à l’ombre d’un arbre, discutent de leur vieillesse dans leur cour ensoleillée. « Mes enfants doivent s’occuper de moi parce qu’ils sont nés de moi », affirme Atta Kouamé, 79 ans. Pour elle, l’envoyer dans une maison de retraite ce serait « l’abandonner », la « jeter ». Sa belle-sœur, Elisabeth Qwansah, 78 ans, est du même avis. « Là-bas », dans une maison de retraite, « je vais mourir vite en n’étant pas entourée de ma famille », pense-t-elle.
La fille d’Atta Kouamé, Emma Koffi, s’occupe quotidiennement depuis huit mois des deux dames âgées. Un rôle « fatigant » qui l’empêche de voyager et parfois de travailler : « Je me prive de beaucoup de choses », confie cette mère de famille célibataire.
En Côte d’Ivoire, un « aidant » – une personne qui assiste un proche en perte d’autonomie –, « c’est la petite dernière qui n’est pas allée au bout de ses études, l’aînée de la famille qui n’a pas d’argent ou d’époux », explique la fondatrice de la maison de retraite, Nina Zougo. « Ils n’ont plus de vie. Souvent, les gens prient pour que la personne décède, parce qu’ils sont fatigués », poursuit-elle. Peuvent en découler « des formes de maltraitance » envers les personnes âgées, ajoute le sociologue Arnaud Dayoro.
Mais des cohabitations fonctionnent. Henriette Bian, 74 ans, est fatiguée et n’a « plus de force » physique. Elle vit avec une de ses filles et reçoit la visite régulière de membres de sa famille. « Avec les petits-enfants, on joue, on s’amuse », confie-t-elle. Ils lui apportent « de la joie » et elle leur apprend des mots en yacouba, la langue de son ethnie. Victoire Gondo, une de ses filles qui l’aide régulièrement, est « heureuse » de s’être « rapprochée » de sa mère et profite de ses conseils pour « avancer dans la vie ».
« Façon de vivre humaine »
C’est ce lien entre les générations qui a motivé le choix d’Albert Kipré, né en Côte d’Ivoire il y a 84 ans. Après près d’un demi-siècle en France, il a choisi de revenir dans son pays natal il y a cinq mois pour éviter la maison de retraite dans l’Hexagone où vivent certains de ses enfants. « Ce serait atroce de mourir abandonné là-bas. En France, j’ai eu une famille sans en avoir, car la vie là-bas ne me permet pas de vivre avec eux. Ici on est en famille : notre façon de vivre, elle est humaine, c’est notre richesse », estime-t-il.
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