
e sommet est un art délicat, surtout dans sa forme bilatérale. L’échec d’un sommet multilatéral peut toujours être attribué aux autres ; c’est plus difficile quand la rencontre n’implique que deux leaders. Encore plus compliqué lorsqu’il s’agit d’un sommet entre les dirigeants de deux superpuissances et que le reste du monde a les yeux rivés sur l’issue de leurs entretiens. A cette aune, les diplomates qui ont préparé le sommet entre Xi Jinping et Joe Biden, le 15 novembre à San Francisco (Californie), peuvent s’estimer aussi heureux que ceux qui avaient accompagné le sommet entre Mikhaïl Gorbatchev et George Bush il y a trois décennies : le résultat atteint n’est pas spectaculaire, mais le fait que le rendez-vous ait eu lieu, qui plus est sans drame, est en soi une réussite. – L
Deux sommets, trois puissances, un autre monde. Lorsque le président américain et son homologue soviétique se rencontrent, les 2 et 3 décembre 1989, au large de Malte, il s’agit surtout de consacrer la fin de la guerre froide. Le mur de Berlin est tombé trois semaines plus tôt et Bush veut jauger l’état d’esprit de Gorbatchev, qu’il sait fragilisé par les révolutions dans les pays du pacte de Varsovie.
Les Etats-Unis, à ce stade, ont la hantise d’un effondrement brutal et chaotique de l’empire soviétique. Gorbatchev cherche à le rassurer, se plaint tout de même de l’impatience de Helmut Kohl, pressé de réunifier les deux Allemagnes à marche forcée, qui l’agace profondément. Mais l’Union soviétique, assure-t-il, ne considère plus les Etats-unis comme un adversaire. La guerre froide est bien terminée.
Ascension météorique de la Chine
Trente-quatre ans plus tard, c’est dans un monde totalement différent que se sont rencontrés le président Biden et son homologue chinois, Xi. Il est toujours question de deux superpuissances, mais le challenger a changé. La Chine a évincé l’héritière de l’Union soviétique, la Russie, qui s’en remet difficilement. L’ascension de Pékin a été aussi météorique que le déclin de l’URSS. Recherché par la Cour pénale internationale pour crimes de guerre, le président de la Russie, Vladimir Poutine, en est réduit à participer en visioconférence aux sommets multilatéraux du G20 ou des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) ; la question d’un sommet russo-américain ne se pose même plus, après l’invasion de l’Ukraine.
Et, si le challenger a changé, la première superpuissance, elle, figure toujours en haut du podium. L’annonce de son déclin était prématurée. Sa part du PIB mondial reste stable ; en 2022, les Etats-Unis représentent un peu plus du quart de l’économie mondiale, suivis par la Chine avec 18 %, selon la Banque mondiale, puis par l’Union européenne, qui approche de 17 %. La Russie est désormais très loin derrière, avec un peu plus de 2 %. Depuis plus d’un siècle, la première puissance mondiale est toujours américaine. Le retour de la Chine s’est opéré au détriment de l’Europe et du Japon, pas des Etats-Unis.
Comme Gorbatchev face à Bush, Xi s’est voulu accommodant après sa rencontre avec Biden : « La planète est assez grande pour la réussite des deux pays ; le succès de l’un est une opportunité pour l’autre », a-t-il dit. L’économie explique en grande partie cette bonhomie, comme l’a montré la promesse faite par le président chinois aux trois cents hommes d’affaires américains, dont les grands noms de la Silicon Valley, avec lesquels il a déjeuné : « La porte des relations sino-américaines ne sera jamais refermée. » Entendez : la porte des investissements non plus. Car l’économie chinoise traverse une phase de vents contraires. La croissance ralentit, l’immobilier est en crise, le chômage des jeunes est en hausse et, surtout, les perspectives démographiques du pays sont catastrophiques. La Chine enregistre en 2022 un taux de fécondité de 1,18 enfant par femme, contre 1,66 aux Etats-Unis et 1,49 en Europe.
Compétition technologique
Les Etats-Unis d’aujourd’hui n’ont pas l’espoir de changer la nature du régime politique chinois comme ils ont pu l’avoir pour l’URSS, d’autant plus qu’eux-mêmes traversent une grave crise démocratique. Même lorsque Joe Biden maintient, juste après l’avoir rencontré, qu’il considère toujours Xi Jinping comme un dictateur (« Il l’est, répond-il lors d’une conférence de presse, il l’est comme l’est un type qui dirige un pays dont le système est totalement différent du nôtre »), le pouvoir chinois réagit pour la forme en dénonçant une « manipulation politique irresponsable », mais n’y voit pas une menace au point de gâcher la fête. Sur les réseaux sociaux chinois, ce sommet est un « win-win ».
La dimension idéologique de cette rivalité-là est beaucoup moins déterminante que la compétition économique et technologique.
Sylvie Kauffmann
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