L’Authentic – Trois jours, trois tables-rondes sur des thèmes variés, en partant du rôle de la littérature comme vecteur humain, au rôle de la femme dans la consolidation de la cohésion sociale, pour boucler le tryptique par l’inextricable choix de l’éditeur. Des thèmes que les écrivains invités dans cette 14ème édition du festival Traversées Mauritanides ont décortiqué du 17 au 20 novembre pour une aventure littéraire qui se poursuit encore jusqu’au 22 novembre prochain.
Lancées le 17 novembre 2023 au Musée National, les activités du festival littéraire « Traversées Mauritanides » se poursuivent, avec déjà trois tables-rondes consommées et un concours « Génies en herbe » qui a mis aux prises 8 établissements scolaires de Nouakchott.
Une conférence en arabe à l’ouverture
Comme de coutume, le festival s’est ouvert par une table-ronde en arabe sur le thème « la littérature comme horizon humain reliant les cultures » le 17 novembre 2023 au Musée National.
Ce thème, modéré par Dr. Moadh Cheikh Sidi Abdoullah qui anime une émission culturelle très suivie à la télévision nationale, a réuni des écrivains, à l’image de Dr. Tarba Mint Amar, professeur d’histoire et chercheur à l’Université de Nouakchott, le romancier germano-irakien, Nejm Wali, le poète et romancier Cheikh Nouh et le professeur de littérature à l’Université de Nouakchott, Dr. Mohamed Boualaiba.
Il fut question au cours de cette table-ronde de l’intéraction entre les cultures du monde, en l’occurrence en ce qui concerne la Mauritanie, l’influence de la littérature arabe sur la littérature française et vice versa, entre autres cultures.
La traduction a tenu dans ces échanges un rôle très important, d’où l’hommage rendu au professeur Boualaiba pour ses traductions en arabe d’ouvrages d’auteurs français comme Pierre Bonte, qui a beaucoup écrit sur la Mauritanie, tels ses ouvrages sur « l’Emirat de l’Adrar » et « la Montagne de fer », des ouvrages sur la société maure restés jusque-là hors de portée des lecteurs arabophones, selon Pr. Boualaiba. Il a dû ainsi passer de la sociologie littéraire à l’anthropologie dans ses travaux en littérature comparée. Il a cité également un autre ouvrage restée méconnue aux lecteurs arabophones et qu’il a traduit, la deuxième partie de l’ouvrage de Francis De Chassée sur « la Mauritanie de 1900 à 1975 » qu’il considère comme important pour connaître l’histoire du pays entre la période précoloniale, coloniale et après les indépendances. Un autre chercheur et sociologue qui a aussi beaucoup décortiqué la société mauritanienne, et que Boualaiba a aussi traduit, c’est Philipe Marchesin qui, à travers son analyse anthropologique sur la vie politique mauritanienne a écrit sur les ethnies en Mauritanie et offre un regard croisé du pays vu de l’extérieur.
Dr. Tarba a abordé le rôle du gestuel dans la littérature arabe moderne, notamment dans les années 90 qui marque selon elle la première révolution féministe arabe, avec ses tabous brisés dans des sociétés conservatrices où la femme était retenue derrière des carcans qui la confinait hors de l’espace public. Elle a cité quelques pionnières dans le Maghreb Arabe, à l’image de Ahlam Serami, les Marocaines, Zourough Marami et Melika Moustaghri ou encore la Tunisienne Amal Mokhtar. Toutes ces écrivaines avaient sorti des ouvrages avec des titres provocateurs parlant du corps. Chose qui avait choqué, selon Dr. Tarba, des sociétés arabo-musulmans foncièrement conservatrices qui interdisaient toute intervention publique de la femme et à fortiori parler d’un sujet aussi tabou que le corps.
Cheikh Nouh a évoqué les relations culturelles Nord-Sud, à travers l’expérience de l’écrivain italien Alberto Morano dans le grand Sahara, qui lui a permis de sillonner toutes ces sociétés de l’espace saharien, le Tchad, le Niger, le Nord Mali, la Mauritanie, etc. Il y donne une vision tout à fait innovante de ce grand espace qui pour certain est synonyme de non-vie et de silence, et qu’il trouve quant à lui rempli de vie, de beauté et de merveilles. Il y fait également un parallèle entre la vie dite moderne, celle des villes et des cités lumières et ce qui est considéré d’autre part comme la vie bédouine et arriérée, celle qui justement évolue dans le grand Sahara, troquant les tentes et les habitats précaires aux buildings et aux gratte-ciels. Pourtant, au lieu de s’opposer ou de se hiérarchiser, les deux cultures sont plutôt complémentaires et peuvent s’enrichir mutuellement, selon l’analyse que l’auteur tire de son expérience.
Nejem Wali a expliqué combien la traduction des œuvres étrangères peuvent influer sur les autres peuples, citant son expérience personnelle avec un ouvrage traduit de l’Allemand en arabe et qui le poussa à apprendre la langue allemande en Irak, avant son exil en Allemagne. Il a aussi évoqué l’influence de Saint-Exupéry dans son amour pour la littérature étrangère, notamment ses œuvres « Vol de nuit » ou encore « Le Petit Prince » qui a été traduit dans plusieurs langues.
La femme dans la consolidation de la paix
Le 18 novembre 2023, le public avait rendez-vous avec la première table-ronde en français dans le cadre de la 14ème édition du festival « Traversées Mauritanides » sous le thème « le rôle de la femme dans la consolidation de la cohésion sociale ».
Modérée par le Dr. Sall Amadou, Sociologue et professeur à l’Université de Nouakchott, la table-ronde a réuni l’ancienne ministre burkinabé, Dr. Monique Liboudo, auteur de plusieurs ouvrages, professeur à l’Université Thomas Sankara et Prix littéraire des droits de l’homme en 2021, l’ancienne ministre Mehla Ahmed Talebna, Présidente de l’Observatoire des droits de la femme et de la fille, Mme Turkia Daddah, ancienne diplomate et ancienne directrice de l’ENA, Mme Fatma El Kory Oumrane, Présidente de Maurifemme et Coordinatrice de l’Observatoire de l’Egalité et du Genre.
Dans son intervention, Monique Liboudo a fustigé la place accordée à la femme, ce pompier appelé à la rescousse quand la société brûle et délaissé derrière ses marmites en temps de paix, sans voix au chapitre et sans voix dans les instances de décision. Aussi considère-t-elle comme son héroïne, Olympe de Gouges, femme de lettres françaises, considérée comme l’une des pionnières du féminisme, qui participa à la révolution de 1789 et guillotinée quatre années plus tard. Elle a aussi cité les années 90 et toutes les luttes pour la démocratie en Afrique auxquelles les femmes ont pris activement part, notamment au Mali et dans d’autres pays. Elles ont été payé avec de l’argent de singe, regrette-t-elle. En définitive, Monique Liboudo qui considère que les femmes payent le plus lourd tribut dans les conflits où leurs corps deviennent de véritables champs de bataille, trouve que cette situation est le résultat d’une mauvaise gestion de la chose publique.
Mme Mehla Ahmed trouve quant à elle que la femme est cet être complexe qui peut être à la fois forte et faible selon les circonstances, citant un penseur qui disait que la femme est l’avenir de l’homme. La femme, surtout mauritanienne, est prise selon elle en tenaille entre une éducation religieuse qui la confine au rang d’être égal à l’homme, et la réalité sociale, celle de l’homme mauritanien prêt à tout donner à la femme sauf la gestion de la chose publique et l’éducation. Elle est certes le cœur névralgique de la maison, le bastion de la première cellule de la société qu’est la famille et la dépositaire des valeurs, mais pas plus. Mehla trouve enfin que l’implication des femmes dans la gestion de la société est une nécessité absolue que les gouvernants doivent impérativement prendre en compte. Elle a enfin plaidé pour l’adoption de la loi contre la violence faite aux femmes et aux filles, toujours bloqué au niveau du Parlement.
A son tour, Mme Turkia Daddah considère que l’histoire récente du monde musulman arabo-africain n’arrive pas encore à se libérer des archaïsmes nuisibles au progrès des sociétés. Pour jouer ce rôle de promotrice de la cohésion sociale, la femme selon Turkia Daddah doit d’abord être impliquée dans la vie publique et participer aux cercles des grandes décisions. Elle a avancé dans ce cadre quatre propositions tirées de son expérience personnelle, citant la lutte contre l’avancée des intégrismes religieux, le renforcement des principes progressistes et le rôle de la société civile, surtout féminine, mais aussi encourager l’éducation et la formation professionnelle des femmes et des filles en plus de leur autonomisation.
En tant qu’activiste de la société civile et femme ayant beaucoup voyagé à travers le monde, Mme Fatima El Kory a pratiquement abondé dans le même sens que ses prédécesseurs, mettant l’accent sur le rôle incontournable des femmes dans la résolution des conflits et la gestion intelligente des crises sociales. Par-delà cet aspect, elle a mis en exergue le rôle insidieux et indirect que joue les femmes sous l’oreiller de leurs maris, surtout si ces derniers occupent des postes élevés dans la prise des décisions politiques.
Enfin, la dernière table-ronde organisée à mi-chemin de la présente édition de Traversées Mauritanides s’est tenue lundi 20 novembre 2023 au Centre culturel marocain.
Cette conférence sur le thème « doit-on encore parler de régions en littérature et quel choix pour l’édition » a été modérée par Achraf Ouédraogo, professeur à l’ENS. Autour de lui, Mohamed Camara de la Guinée, éditeur, Imène Moussa de la Tunisie, Idoumou Mohamed Lemine, professeur de littérature à l’Université de Nouakchott et Brahim Ndiaye, écrivain journaliste.
Il a été question essentiellement de l’édition, de ses étapes et processus, de la difficulté rencontré par l’édition en Afrique et surtout en Mauritanie ;
Cheikh Aïdara
Source : L’Authentic (Mauritanie)
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