« L’Afrique dans le temps du monde », de Mamadou Diouf : les combats de l’histoire africaine

Dans un essai important, l’historien sénégalais rappelle la place de sa discipline dans la construction de l’Afrique postcoloniale.

Le Monde – Dans son nouvel essai, L’Afrique dans le temps du monde, l’historien sénégalais Mamadou Diouf, professeur à l’université Columbia (New York), opère un retour critique sur sa discipline et sur la manière dont les Africains s’en sont emparés à la charnière des années 1950 et 1960, tandis que l’Afrique se libérait du joug colonial.

A mesure que les centres de recherche se multipliaient sur le continent, l’histoire africaine s’est affirmée comme revalorisation d’un passé déprécié par l’Occident impérial, mais aussi comme décentrement par rapport à lui, grâce au recours à d’autres bibliothèques que la sienne, telles la bibliothèque islamique et celle issue de la réalité historique hybride que le sociologue britannique Paul Gilroy a appelé « l’Atlantique noir » (1993 ; Amsterdam, 2010).

Ce concept « visait la réinstallation de l’Afrique à une place pionnière dans le temps du monde », résume Mamadou Diouf. De fait, ces démarches s’inscrivaient dans une longue tradition qui entendait relire le passé des peuples noirs pour « revendiquer au présent [leur] dignité » et ainsi lutter contre le racisme et les politiques de ségrégation. Dans un tel contexte, précise le chercheur, « pour l’Afrique et la diaspora noire, reprendre la main sur les écritures de son histoire, [c’était] réclamer une parité culturelle, créative, historiographique, et revendiquer un récit de l’universel enfin découplé de l’impérialisme occidental ».

L’historien passe en revue les différents courants et écoles (de Dakar, d’Ibadan, de Dar es-Salaam…) qui ont forgé la discipline ainsi que les figures majeures qui l’ont marquée, comme l’historien sénégalais Cheikh Anta Diop (1923-1986), qui revendiquait l’unité culturelle du continent. Il évoque également quelques-unes des grandes controverses qui l’ont animée. Le débat a ainsi été vif autour de l’importance à accorder à la colonisation et à la traite négrière. Simple parenthèse ou moment fondateur de l’Afrique contemporaine ? Cette dernière option suppose une perte d’autonomie par l’intégration à la modernité occidentale, tandis que la première met en valeur la résistance des sociétés africaines et leur hybridation. De même qu’elle rompt avec l’histoire impériale en sortant les initiatives africaines de la « référence européenne ».

La place de l’oralité

Mais ce projet n’est pas allé sans susciter un certain nombre de tentatives d’appropriation poli­tique, destinées à légitimer les ­nouveaux pouvoirs issus des indépendances. Dans cette optique, l’histoire devait renouer avec une identité et des valeurs spécifiques afin de construire soit les nations africaines soit une Afrique une et unie, dans une perspective panafricaniste. Jusqu’à ce que la faillite des Etats et la montée des chau­vinismes, voire des ethnicismes, conduisent à passer de l’idée d’une Afrique unie à celle d’une Afrique plurielle. Par ce dépassement des clivages initiaux, la discipline, « aujourd’hui, (…) essaie de saisir dans le même mouvement la colonie et l’empire, les luttes locales et les dynamiques globales, la nature particulière de l’Etat colonial et le caractère déterminant ou instable des économies coloniales », écrit Diouf.

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« L’Afrique dans le temps du monde », de Mamadou Diouf, Rot-Bo-Krik, 128 p., 13 €.

 

 

 

 

Source : Le Monde – (Le 11 novembre 2023)

 

 

 

 

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