« Le Coran ne donne aucun blanc-seing pour la violence »

Huit universitaires, chercheurs et intellectuels musulmans, dont Marwan Sinaceur, professeur de psychologie sociale à l’Essec, expliquent, dans une tribune au « Monde », à quel point le terrorisme les révulse et est contraire aux valeurs de l’islam.

 Le Monde  – Trois ans après le meurtre de Samuel Paty, nous voici à nouveau devant un meurtre terroriste qui touche la France dans ce qu’elle a de plus civil : l’école. Dominique Bernard était enseignant. Il a voulu s’interposer pour sauver des vies. Il aimait son métier passionnément. Il l’a payé de sa vie.

Nous voulons dire au meurtrier, à ce terroriste qui se réclame de l’islam, à tous les terroristes qui se réclament de l’islam, que le meurtre, quelles que soient les circonstances, est injustifiable. La vie, toute vie, est sacrée. Rien ne donne le droit d’ôter la vie, de briser des familles. Dominique Bernard avait une femme et trois filles. Qui pourra remplacer leur mari, leur père ?

 

La soif de savoir et d’apprendre

 

Que de joies enlevées à jamais, que de souffrances créées à jamais. Au meurtrier barbare qui prétend parler au nom de notre religion, nous rétorquons ce que dit le Coran sur la valeur de la vie : « N’attentez pas à la vie de votre semblable, que Dieu a rendue sacrée… » (Coran, 17.33). Et encore : « Quiconque tue un être humain non convaincu de meurtre… est considéré comme le meurtrier de l’humanité tout entière. Quiconque sauve la vie d’un seul être humain est considéré comme ayant sauvé la vie de l’humanité tout entière ! » (Coran, 5.32).

Et encore, par la bouche d’Abel, qui répond à Caïn : « Et si tu portes la main sur moi pour me tuer, je n’en ferai pas de même, car je crains trop mon Seigneur, le maître de l’Univers, pour commettre un pareil crime ! » (Coran, 5.28). C’est une évidence, tuer est un crime et ces versets rappellent cette évidence : craindre Dieu exige de respecter la vie d’autrui, de respecter autrui.

Au meurtrier de Dominique Bernard qui se réclame de l’islam, nous voulons également dire un hadith [propos ­attribués au Prophète] célèbre : « L’encre des savants est plus sacrée que le sang des martyrs », et que tout professeur représente un savoir. Nous voulons dire que la civilisation islamique s’est bâtie sur la philosophie et les sciences, sur la soif de savoir, sur la soif d’apprendre. Et que cette soif d’apprendre ne s’étanche pas aux frontières culturelles : tout savoir, tout apprentissage, quel que soit le domaine, quelle que soit la provenance culturelle, est une lumière, un enrichissement, un épanouissement.

Le Coran appelle à faire usage de son entendement et de sa raison, dans l’observation de la nature comme dans la réflexion sur la vie. La raison n’est pas l’obstacle à la foi dans l’islam, mais en est une condition nécessaire (par exemple, Coran, 2.44 ; 3.190 ; 10.5 ; 16.12-13, 67 ; 20.54 ; 45.5). Et il faut aussi rappeler aux terroristes et apprentis-terroristes que le Coran reconnaît la diversité des points de vue et des identités à travers le monde (par exemple, 22.67 ; 30.22 ; 10.19 ; 11.118). Dans l’islam, Dieu a voulu la diversité des points de vue et des cultures (par exemple, Coran, 7.168).

Un civil est un civil

 

A tous les terroristes qui se réclament de l’islam, nous voulons aussi dire que même la guerre, le désespoir et l’injustice ne justifient pas le massacre de civils. Peu importe la nationalité, la religion, le sexe, l’âge du civil. Un civil est un civil, et cela s’applique aussi au conflit israélo-palestinien. Dans le Coran, la violence guerrière n’est permise que contre des attaquants en arme directement menaçants, donc uniquement en cas de « légitime défense » (Coran, 2.190 ; 4.75 ; 8.19 ; 9.12-13). Tuer des gens en dehors de ce cas précis relève du meurtre (Coran, 5.32).

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Liste des signataires :

Fouad Aouni, chercheur doctorant en sociologie ; Dounia Bouzar, anthropologue du fait religieux ; Saïd Branine, directeur de la rédaction d’Oumma ; Abd Raouf Chouikha, professeur émérite, université Paris-Sorbonne ; Chafiaa Djouadi, chercheuse à l’université Toulouse-II, membre de la chaire Unesco-Prev en prévention de la radicalisation et de la violence extrême ; Sophia Idris, biologiste ; Abdelouahab Rgoud, normalien, professeur, chercheur en philosophie arabe ; Marwan Sinaceur, professeur de psychologie sociale à l’Essec.

 

 

 

 

 

 

Source : Le Monde

 

 

 

 

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