La stratégie à quitte ou double du Hamas

Orientxxi.info   Le 7 octobre 2023, Ismaïl Haniyeh est apparu sur les écrans de la chaîne qatarie Al-Jazeera dans son bureau de Doha. Il a prononcé un discours d’une vingtaine de minutes exposant les causes et les objectifs de l’opération « Déluge d’Al-Aqsa », lancée depuis Gaza le jour même. Ce texte mérite d’être étudié de près. Il est en effet très instructif sur le plan politique et au final plutôt mesuré. Antérieur aux massacres de civils à Gaza, le discours d’abord diffusé sur Youtube, a ensuite été censuré.

Le chef du Bureau politique du Hamas est apparu sobrement vêtu comme à son habitude d’une chemise blanche et d’un veston agrémenté d’un pin’s en forme de drapeau palestinien. Il s’est exprimé de manière maîtrisée, loin des vociférations de certains prédicateurs ou chefs de guerre, même si le ton se fait plus dur sur la fin. Il a également varié le registre de langue employé, passant de l’arabe classique qui domine le discours au dialectal palestinien quand il s’agit d’évoquer les souffrances du peuple de Gaza, ou le sort des prisonniers qui revêt une valeur émotionnelle et affective particulière. En fond d’écran, une vue de Jérusalem avec le Dôme du Rocher illustre la double dimension du conflit, nationale et religieuse.

 

Nous les avions avertis…

 

Le discours revient à plusieurs reprises sur l’origine de l’actuelle escalade, imputée à la fois à l’attitude agressive d’Israël et à l’indifférence de la communauté internationale face au drame des Palestiniens. Le Hamas n’a pas voulu cette guerre mais y a été contraint. Le texte évoque l’imminence d’un danger et les risques mettant en cause la survie même de la Palestine. C’est ce contexte qui aurait acculé le Hamas à agir, Israël restant sourd à ses avertissements répétés. Le Hamas rejette explicitement la responsabilité de l’attaque sur Israël, sur la communauté internationale, et plus indirectement sur les régimes arabes de la région.

Pour montrer que la patience est à bout et que « trop c’est trop » la formule « Combien de fois… » revient à plusieurs reprises pour rythmer le discours.

La peur de l’isolement

 

 

En mettant à nu la faiblesse et les défaillances des Israéliens, l’opération lancée par le Hamas montre les limites d’une alliance avec Tel Aviv. La référence est claire : il s’agit des Accords d’Abraham, signés par les Émirats arabes unis et Bahreïn le 15 septembre 2020, sous parrainage américain. Des jalons avaient ensuite été posés pour étendre cette alliance au Maroc et au Soudan, attirés sur cette voie par d’autres considérations.

Incapable d’assurer sa propre protection, Israël pourra encore moins garantir celle de ses nouveaux alliés. Haniyeh pointe – et il n’est pas le seul – l’échec du renseignement et du dispositif sécuritaire israéliens :

 

Vous devez savoir que cette entité qui est incapable de se protéger elle-même face à nos combattants est incapable de vous apporter sécurité ou protection. Tout le processus de normalisation et de reconnaissance, tous les accords qui ont été signés [avec Israël] ne pourront jamais mettre fin à cette bataille.

 

Le danger contre lequel les pays arabes cherchent à se prémunir en se rapprochant d’Israël, c’est évidemment l’Iran. Le message du chef du Hamas vise plus particulièrement l’Arabie saoudite, qui semblait ces derniers temps avancer à grands pas sur la voie de la normalisation. Il est clair en effet que le ralliement du nouveau poids lourd de la scène régionale aux Accords d’Abraham porterait un coup fatal au soutien déjà très mesuré des Arabes à la cause palestinienne. Le ton à l’encontre de cet abandon se fait accusatoire : « Aujourd’hui, Gaza efface de la Communauté arabo-musulmane la honte des défaites, la honte de l’acceptation et de l’inaction ».

Cette question de la normalisation entre Israël et certains États arabes arrive très vite dans le déroulement de l’argumentation. L’orateur y revient encore à la fin de son discours, ce qui témoigne de l’importance de ce point. Cette insistance peut effectivement amener à s’interroger sur le degré d’implication des Iraniens dans le lancement de l’opération, comme le fait un article du Wall Street Journal en date du 8 octobre 20231 Il est évident que le rapprochement entre Riyad et Tel Aviv porterait un coup très dur aux Iraniens et renforcerait leur isolement.

 

Un appel à la communauté arabo-musulmane

 

Dans son intervention, Haniyeh revient sur le blocus insoutenable imposé à la population de Gaza :

Gaza qui subit ce blocus depuis bientôt vingt ans2 au cours desquels il y a eu quatre ou cinq guerres3 qui ont causé des dizaines de milliers de martyrs et de blessés, de maisons détruites, Gaza qui vit cette tragédie humanitaire, cette prison géante qui enferme plus de 2 millions de notre peuple et de nos familles.

Il évoque la dégradation de la situation des Palestiniens au cours des derniers mois : les raids israéliens en Cisjordanie, les morts de civils innocents, les profanations des lieux saints, les limitations imposées aux Palestiniens dans l’exercice de leur culte à al-Aqsa à Jérusalem, et au tombeau des patriarches (mosquée d’Ibrahim) à Hébron, ainsi que les exactions des colons. Il fait état de graves menaces pesant sur la Cisjordanie, où « deux millions » de colons seraient prêts à s’implanter, et sur les lieux saints musulmans dont les Israéliens s’apprêteraient à prendre le contrôle.

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Sophie Pommier

Arabisante, diplômée en histoire et science politique

 

 

Source : Orientxxi.info  

 

 

 

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