France – Jean-Pierre Elkabbach, roi de l’interview, est mort

Ex-patron de France Télévisions et de Public Sénat, le journaliste, décédé à l’âge de 86 ans, a couvert l’actualité politique sous huit présidents de la République et une vingtaine de Premiers ministres.

Le Parisien – Il disait être un « arracheur de masque ». En près de six décennies de carrière, Jean-Pierre Elkabbach a débusqué la parole de dizaines de politiques de tous bords, entremêlant son histoire avec celle de la Ve République.

Doté du « talent rare de ne jamais laisser personne indifférent », l’ancien gamin pressé d’Oran est décédé ce mardi à 86 ans, a-t-on appris de son entourage, confirmant une information de Paris Match. Il était parvenu à se hisser au sommet du journalisme autant de fois qu’il était tombé en disgrâce. L’insatiable curieux se vantait d’ailleurs d’être le « recordman des licenciements », quand ses détracteurs raillaient plutôt sa fascination éternelle pour le pouvoir, quel que fut son visage.

Celui de son père est fondateur de sa personnalité. Juif pratiquant, le commerçant en tissu décède brutalement après la lecture d’une prière lors de la fête du Grand Pardon (Yom Kippour). À seulement 11 ans, Jean-Pierre Elkabbach fait la rencontre d’une mort qui l’angoissera toute sa vie. Promettant de faire connaître le nom de son ascendant, il rompt aussi avec la religion. Et accompagne sa mère « tous les jours » au cimetière. « C’est là que j’ai trouvé toute l’énergie de ma vie, auprès des morts », confiera-t-il au micro de France Culture cinq décennies plus tard.

Jean-Pierre Elkabbach au Maroc en 2005 avec son épouse, l’écrivaine Nicole Avril, rencontrée en 1972.
Jean-Pierre Elkabbach au Maroc en 2005 avec son épouse, l’écrivaine Nicole Avril, rencontrée en 1972.

Cette force vitale sera la marque de fabrique de ce lecteur de Nietzsche. À la fin des années 1950, l’« enfant de la guerre d’Algérie » rêve de liberté. Il quitte Oran pour faire ses études à Paris, qu’il finance en étant pion dans des lycées. À l’Institut français de presse et Sciences-po, l’« Africain » admire Jean Daniel comme Pierre Mendès France. De retour en Algérie en 1960, il commence sa carrière de journaliste, couvrant d’entrée de jeu l’histoire en marche, des soulèvements de la casbah d’Alger au putsch des généraux. À Constantine, il fait aussi une émission avec « un gars qui jouait de la guitare ». Son nom : Gaston Ghrenassia, le futur Enrico Macias.

Des passes d’armes de légende

Arrivé à l’ORTF, sa pugnacité lui permet de vite monter les échelons à France Inter, avant d’être stoppé net par sa participation à la grève de 1968. Exilé à Toulouse puis à Bonn, capitale de l’Allemagne de l’Ouest, il revient en France en 1970 pour devenir présentateur de la première puis de la deuxième chaîne. Jugé trop remuant par le nouveau pouvoir giscardien, il est écarté de la télévision dès 1975, et doit se replier à la radio.

Deux ans plus tard, le fougueux quadragénaire parvient malgré tout à revenir sur le petit écran. Avec Alain Duhamel, il coprésente « Cartes sur table », la grande émission politique d’Antenne 2. Y défilent à « portée de gifles » toutes les têtes d’affiche de l’époque : François Mitterrand, Valéry Giscard d’Estaing, mais aussi Jacques Chirac ou Margaret Thatcher. Ses passes d’armes théâtrales avec Georges Marchais rentrent vite dans la légende. « Écoutez Elkabbach, c’est extrêmement désagréable de discuter avec vous ! » ou « Plus vous nous ferez perdre du temps, moins je répondrai à vos questions », deviennent des répliques cultes et font bondir l’audience. Le « Taisez-vous Elkabbach ! » retenu par les téléspectateurs n’a en revanche jamais été prononcé par le leader du Parti communiste français mais bien popularisé par l’imitateur Thierry Le Luron.

Se délectant du jeu et de la joute, celui qui se rêvait comédien devient une star de la scène politique. Et s’attire au passage de nombreuses inimitiés. Jugé autoritaire et égocentrique par ses ennemis, on lui reproche surtout d’être la voix du pouvoir giscardien. Presse et politiques l’attaquent après son interview de Jean-Bedel Bokassa, grand ami du chef de l’État français, qui sera plus tard accusé d’avoir reçu en cadeau des diamants de l’« empereur » centrafricain. Lui dit donner la parole à tout le monde, comme lorsqu’il permet à François Mitterrand d’annoncer son intention d’abolir la peine de mort en cas d’accession à l’Élysée.

« On m’avait interdit le matin, le soir et la politique »

La présidentielle de 1981 ne lui en est pas moins fatale. Le 10 mai, l’histoire veut que la foule réunie à la Bastille pour fêter la victoire de François Mitterrand ait hué son nom et scandé des « Elkabbach à la météo ! ». « Une légende » selon l’intéressé, qui était présent sur place en ce soir pluvieux. Maurice Ulrich, PDG d’Antenne 2, ne tarde cependant pas à le virer après une entrevue avec le Premier ministre, Pierre Mauroy. Étiqueté « de droite » alors qu’il se dit « réformiste de centre gauche », la star déchue pointe à l’ANPE. Dans la rue, les gens changent de trottoir quand ils le croisent. « Ce fut violent, la solitude absolue, une mort sociale », témoignera-t-il en 2016 dans l’Express.

Le salut vient pourtant de son supposé bourreau. En février 1982, François Mitterrand l’invite à l’Élysée en pleine traversée du désert. « On va se voir régulièrement, appelez quand vous le voulez », lui lance le président socialiste, avec lequel va se nouer une relation intime. Hasard ou grâce présidentielle, Jean-Luc Lagardère tire le Méridional du purgatoire en 1982. Il retrouve du travail sur Europe 1 après des mois de chômage, mais hérite de l’heure de la sieste : « On m’avait interdit le matin, le soir et la politique », ironise-t-il. Comme à son habitude, le mari de l’écrivaine Nicole Avril fait vite son trou dans sa nouvelle maison. Il en devient directeur d’antenne en 1987, puis le directeur général adjoint en 1988.

Proche de Mitterrand dont il enregistrera les ultimes confessions cathodiques en 1993 et 1994, Jean-Pierre Elkabbach est aussi accusé de rouler pour les balladuriens de Matignon. Des amitiés multiples qui, selon ses contempteurs, lui permettent de décrocher en décembre 1993 la présidence de France Télévisions. Viré de France 2 en 1994, Paul Amar accuse même son ancien patron d’avoir obtenu son poste en échange de la promesse de mettre le groupe au service d’Édouard Balladur durant la campagne présidentielle de 1995.

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Source : Le Parisien

 

 

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