Mauritanie : Interview exclusive de Samba THIAM à KASSATAYA

« L’accord UFP-RFD- ressemble à du déjà vu, un fourre-tout où s’enchevêtrent questions de fond, questions superficielles et techniques qui relèvent d’axes programmatiques de parti ou de ministère »

kassataya  – Le président des FPC réagit sur l’accord tripartite UFP-RFD et INSAF, un document politique qui ne fait pas l’unanimité des Mauritaniens. Pour Samba Thiam il ne parle plus de crise politique mais juste de contentieux électoral à régler. Le chef historique du premier mouvement de libération africaine de Mauritanie s’est confié exclusivement à Kassataya pour revenir aux leçons des élections 2023 qu’il qualifie de mascarade électorale où un opposant homme politique et non politicien ne peut gagner sans faire allégeance au système. Samba Thiam est revenu sur son engagement dans des alliances sans calcul mesquin encore moins d’agenda caché avant de considérer la tolérance zéro édictée par Ould Ghazouani au gouvernement comme un simple slogan. Le leader charismatique de l’opposition n’est pas également indifférent au coup d’Etat du Niger.

 

« Je trouve la démarche inadéquate, quelque peu inélégante, à la limite de la maladresse. En effet, comment compter rallier à cette initiative d’autres fractions de l’opposition, mises devant le fait accompli – qualifiées de surcroît comme elles l’ont été- en plus d’un droit de propriété assumé avec discourtois… »

 

kassataya : quelle lecture faites-vous de l’accord tripartite entre UFP et RFD et INSAF ?

Samba THIAM : je m’interdis, en général, par principe, d’intervenir sur des questions ou des situations pour lesquelles je n’ai pas d’informations précises, vérifiées. J’ai lu ces derniers temps, comme tout le monde, un texte repris dans les réseaux sociaux sujet à polémique…Si je devais donc m’avancer à son propos ce ne serait qu’au conditionnel. Est-ce qu’il existe ce texte ? et son contenu est-il endossé par les présumés auteurs ? Si oui, alors mon commentaire porterait d’abord sur son objet, c’est -a- dire la reprise d’un dialogue -concertations qui, dit-on, aurait été suspendu pour des raisons de calendrier électoral.

En vérité, il fut abandonné, de façon unilatérale et péremptoire par la Présidence de la République, bien avant toute échéance électorale et sans que l’Opposition et même la majorité ne fussent consultées ; opposition qui, du reste, manifesta alors, diversement, son mécontentement. Le risque encouru ici, c’est justement de retomber dans les travers du dialogue précédent qui avait été arraché, presque forcé …toute chose qui explique son échec.

Maintenant pour en venir au contenu, il ressemble à du déjà vu ; un fourre- tout où s’enchevêtrent questions de fond, questions superficielles et techniques qui relèvent d’axes programmatiques de parti ou de ministère. Le document ne parle plus de crise politique, notons-le, mais juste de contentieux électoral à régler… Il y a à dire également sur l’attitude courroucée post-électorale adoptée (Manif et déclaration cinglante) en raison du scrutin décrié et, tout d’un coup, cette volte-face soudaine, surprenante, comme par ramollissement, qui sonne comme un flop !

Certains parmi nous de l’opposition donnent l’impression, parfois, d’avoir tellement subi et souffert sous ‘’la décennie ’’passée…que chat échaudé craint l’eau froide. Composer à tout prix et non pas s’opposer, quelle que soit la politique chauvine et pernicieuse menée par le Pouvoir, est devenu une option … N’empêche, nous nous devons, malgré tout, de respecter la ligne et les choix de chaque formation politique, lui reconnaître la liberté, le droit et la latitude de porter des initiatives propres, qu’ils jugent opportunes, avec la précaution toutefois de ne pas le passer au nom de toute l’Opposition.

Enfin pour la forme, je trouve la démarche inadéquate, quelque peu inélégante, à la limite de la maladresse. En effet, comment compter rallier à cette initiative d’autres fractions de l’opposition, mises devant le fait accompli – qualifiées de surcroît comme elles l’ont été- en plus d’un droit de propriété assumé avec discourtoisie ? Au juste, qui ‘’cherchent à entraîner le pays dans l’instabilité voire dans le chaos’’ ? Les tenants du Système avec leur politique chauvine, raciste et funeste ou les victimes de l’oppression en tous genres ? Non content de brimer les victimes, il faut encore chercher à les culpabiliser ! Cela étant, pour conclure, un dialogue politique sincère, sous-tendu par une volonté politique réelle est à prendre, toujours. Depuis 1986 nous le demandons, en vain. Toutes les guerres, même les plus féroces, finissent, généralement, sur la table de négociation…

 

« C’est toute la pyramide de l’administration qui s’est écroulée avec l’avènement des militaires…. »

 

kassataya : que vous inspire la tolérance zéro édictée par Ould Ghazouani pour les manquements du gouvernement aux programmes prioritaires ?

Samba THIAM : c’est juste un slogan, rien de plus, parce qu’il n’en a pas les moyens, à moins de relever tous les agents de l’Etat. Il ne comprend pas que c’est toute la pyramide de l’administration qui s’est écroulée avec l’avènement des militaires. Abdallah Sidya Ebnou l’a bien expliqué dans ses mémoires. C’est le désordre partout ; chacun fait comme bon lui semble, embauche rien que sa parentèle et sert sa tribu. Relevé aujourd’hui pour être nommé le lendemain, avec de surcroît, une promotion ! Il n’y a ni suivi, ni contrôle, ni sanctions, d’où l’anarchie générale qui règne. Cette administration, pour se redresser, aurait besoin d’une tutelle de longue durée d’anciens commis de l’Etat modèles.

Notre Raïs n’a pas les moyens de sa politique pour manquer de vision, de connaissance des hommes, de perception claire sur les véritables maux du pays et l’ordre de priorité des choses. D’où l’instabilité du gouvernement constatée au vu des changements multiples à la tête de certains départements, par trois à quatre fois, en l’espace de quelques mois ! Enfin ce Président n’échappe pas, comme beaucoup parmi nous, à l’emprise de son milieu ; comme pour la plupart, il demeure produit et prisonnier de son environnement, prototype de ‘’ l’homo-mauritanicus’’. Le désert façonne à sa façon, tout comme la savane …Pour se distancier de cette entrave, Souleymane B Diagne -philosophe- rapporte deux idées importantes qui y participent : ‘’savoir penser contre soi’’ ; ‘’se déprendre des significations immédiates dans lesquelles nous retiennent la culture et les religions’’.

kassataya :  Pour revenir aux élections de 2023. Quelles leçons tirez-vous de l’échec aux législatives ?

Samba THIAM : C’était un test, sans grande attente en réalité, mais qu’il fallait passer. Je ne le perçois pas comme un échec comme vous semblez le poser. Quelle leçon ? Si ‘l’on devait comparer les pays africains dans leur résistance à enclencher la démocratie , au regard de l’opacité des élections , des pesanteur et des insuffisances notoires à ce sujet, la Mauritanie serait classée dernière …Ici on assiste, comme nulle part ailleurs, à l’achat massif des consciences, ouvertement encouragé par l’Etat et le parti au pouvoir, aux ’intimidations et menaces , à la chape tribale ,au carcan ethnique, au contrôle exclusif du ministère de l’intérieur en amont et en aval du processus électoral qui s’arroge le droit et la force de priver les opposants jusqu’aux PV des dépouillements du vote ! On ne peut pas parler d’élection mais de mascarade en Mauritanie ; un opposant ne peut pas gagner avec ce type d’élections à moins de faire allégeance au Système.

Quand les véritables conditions pour un jeu démocratique transparent seront un jour instaurées, alors nous gagnerons…S’y ajoute que le parti FPC reste particulièrement ciblé ; la peste en un mot ,au vu de ses déboires : un récépissé de reconnaissance arbitrairement refusé ,un contentieux juridique bloqué voilà 9 ans, six candidatures aux municipales et législatives dont certaines étaient nettement favorites ,toutes recalées , un chef de parti ,enfin ,ancien fonctionnaire de l’Etat, privé jusqu’à ses droits naturels à pension ; le seul des anciens détenus politiques de Walata à voir sa situation administrative irrésolue .Et dire que ce Président avait promis de solder les injustices … Pas même les plus flagrantes ! Reconnaissez-nous donc cet environnement particulièrement hostile.

« J’ai toujours dit que j’étais un homme politique et non un politicien »…

kassataya :  des compatriotes vous reprochent votre stratégie de consentement aux différentes coalitions auxquelles les FPC ont consenti pour aller vers des élections. Quelle analyse faites –vous de ces critiques ?

Samba THIAM : pour ma part, je me suis toujours engagé dans des alliances sans calcul personnel mesquin, sans agenda caché, mu essentiellement par la grande cause, l’intérêt général … Et comme je reste fidèle à cette posture ou manière d’être, on peut craindre que les désillusions ne soient pas près de s’arrêter pour nous. J’ai toujours dit que j’étais un homme politique et non un politicien…

kassataya : que vous inspire la situation au Niger ?

Samba THIAM :  elle me préoccupe au plus haut point comme tout progressiste et bon panafricaniste . Pour l’instant elle est dans l’impasse. Laisser passer ce coup d’Etat, c’est encourager d’autres coups d’Etat qui consacrent un recul démocratique en Afrique de l’Ouest, voire dans tout le continent. Ne pas intervenir, pour la CEDEAO, c’est perdre la face ; intervenir comme elle le voudrait c’est faire courir à la sous-région entière un risque élevé de déstabilisation. Je pense, par ailleurs, qu’il faut distinguer les coups d’Etat ; il y en qui sont légitimes comme celui du Gabon intervenu récemment, celui de Guinée où hélas, le putschiste commence à suivre les pas de Condé…Rien ne justifie à mon avis celui du Niger qui tombe comme un tonnerre sous un ciel serein.

Des chefs d’Etat qui oppriment leurs peuples, mettent à mal l’unité nationale, ne veulent pas de l’alternance au sommet de l’Etat doivent partir… Ma petite idée est qu’on devrait tenter, pour sortir de la crise au Niger, ce schéma : Libérer le Président Bazoum, procéder dans un délai de 3mois au retour de l’ordre constitutionnel, par l’organisation d’une compétition électorale supervisée par un gouvernement d’union nationale civil et un CENI consensuel, ; une compétition électorale ouverte à tous les partis et acteurs politiques, y compris le général putschiste, devant démissionner de l’armée.

En tout état de cause, quelle que soit l’issue de ce scrutin, le retrait de la France, à défaut d’une remise en cause rapide et profonde de ses relations avec l’Afrique noire, sera inévitable, au regard de la pression populaire que personne ne pourra plus esquiver. Je n’ai pas de problème avec ces généraux dans leur posture vis-à-vis de la France, mais ce que je stigmatise c’est leur politique d’épuration ethnique, ouverte et manifeste, les violations massives des droits humains, le musellement de toute voix discordante. Enfin il ne faudra pas que nous chassions un maître pour un autre maître …qui ne dit pas son nom… Ce que les peuples demandent aux généraux c’est de remettre les choses à l’endroit et de s’en aller, exactement à la belle manière de Rawlings, et non pas s’incruster.

 

Propos recueillis par Chérif Kane, journaliste à Rouen (France)

 

 

 

 

Diffusion partielle ou totale interdite sans la mention : Source www.kassataya.com

 

 

Quitter la version mobile