
Ali Bongo Ondimba, 64 ans, amaigri, le corps flottant dans une tunique bleue, est assis dans un fauteuil posé dans un salon de sa demeure de La Sablière, à Libreville, où il est assigné à résidence par la junte. La voix chevrote légèrement, son regard, oblique, flotte un peu dans le vague. L’homme est affaibli. Non pas tant par le coup d’Etat surprise qui s’est produit la nuit précédente, lorsque des militaires ont contesté l’annonce de sa victoire à la présidentielle, annulant les résultats et s’emparant du pouvoir, mais par les conséquences de son grave accident vasculaire cérébral survenu en 2018, dont il porte encore les stigmates.
Ce matin du 30 août, la surprise de cette vidéo est autre : dans la langue utilisée par le président. C’est en anglais qu’Ali Bongo déclare : « Je suis le président du Gabon, Ali Bongo Ondimba, et j’envoie un message à tous mes amis à travers le monde pour leur dire de faire du bruit pour les personnes ici. Ma famille, mon fils, est quelque part, ma femme est à un autre endroit, et je suis à ma résidence. » Si le Gabon a rejoint l’organisation du Commonwealth en juin 2022, le français reste la langue officielle du pays, et celle quotidiennement parlée par Ali Bongo Ondimba.
Choix d’idiome anecdotique ou démarche délibérée ? La langue choisie illustre, tout au moins, combien les relations se sont distendues entre la France et le Gabon. L’ancienne colonie qui, à l’heure des indépendances africaines, en 1960, aurait préféré rester dans le giron français comme un territoire d’outre-mer est devenue un allié encombrant pour la diplomatie africaine de la France.
Pétrole et manganèse
Initialement, pourtant, un homme était parvenu à forger une proximité sans équivalent entre les deux Etats : Albert-Bernard Bongo. Celui qui deviendra El Hadj Omar Bongo après sa conversion à l’islam en 1973 doit son ascension politique à la France, dont il fait la connaissance de près avec les parachutistes en 1964. Paris intervient alors à Libreville pour sauver d’une tentative de coup d’Etat le président Léon Mba, installé par ses soins à la tête du pays à l’indépendance. Les autorités françaises repèrent le jeune Albert-Bernard Bongo, né en 1935, directeur de cabinet du chef de l’Etat. Aussi lorsqu’en 1967 Léon Mba, malade depuis plusieurs années, meurt à Paris, l’ancienne puissance coloniale le remplace par Albert-Bernard Bongo. « Il aurait adoré être né plus tôt pour devenir ministre français, comme le fut Léopold Sédar Senghor avant l’indépendance du Sénégal », rapporte un ancien diplomate français qui l’a côtoyé.
Le président n’est pas seulement « charismatique, drôle et intelligent », tel que le décrit ce diplomate. « Il sait qu’il doit tout à la Fance et s’en montre très reconnaissant, ce qui n’est jamais mauvais pour les affaires », souligne une autre source diplomatique. Or, le pays ne manque pas d’attraits. Depuis le milieu des années 1950, le Gabon, qui attirait surtout des investisseurs dans le domaine de l’exploitation forestière, est devenu producteur de pétrole, pour le plus grand bonheur d’Elf Aquitaine, qui se déploie sur ce marché captif. A la même époque, de grandes réserves de manganèse, que les miniers français exploiteront jusqu’à aujourd’hui par le biais de la société Eramet, sont découvertes.
Omar Bongo et François Mitterrand inaugurent le deuxième tronçon du « Transgabonais », à Franceville (Gabon), le 18 janvier 1983 .
Depuis cette période, l’argent coule à flots dans les caisses de l’Etat qu’Omar Bongo gère comme un patrimoine privé. « Comme il avait beaucoup de moyens et de contacts à Paris, il se servait de ces fonds pour appâter les responsables politiques établis et de jeunes ministres français », se souvient un ancien diplomate.
Le président gabonais sait comment s’acheter des fidélités. Une partie de l’argent du pétrole atterrit ainsi dans les caisses de partis politiques français. « Il arrosait un peu tout le monde », confie un ancien responsable français. Cet argent profite en revanche peu aux Gabonais. « Rien n’était vraiment solide au Gabon en matière de gestion publique. Le pays était administré comme un village », témoigne un ancien conseiller à l’Elysée. Souvent, Omar Bongo venait d’ailleurs solliciter une aide financière auprès de l’ancienne puissance coloniale, y compris lorsque les cours du pétrole étaient au plus haut.
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