
Vanity Fair – Pour Karine Silla, qu’est-ce qui a déterminé l’idée du documentaire «Métissages», plongée au Sénégal (où elle née) à la rencontre de ses habitants, ses artistes, son histoire, et aussi de l’événement qu’a été le premier défilé d’une maison de luxe en Afrique noire ?
C’est d’abord l’histoire, à l’automne 2022, d’une mère qui s’interroge sur le projet d’un de ses enfants. A priori rien d’exceptionnel, sauf que, dans cette histoire, le projet en question est un événement en Afrique organisé par une grande maison de mode parisienne.
« Quand ma fille [la mannequin Iman Perez] est venue me voir pour me dire qu’elle allait défiler pour Chanel au Sénégal, j’ai d’abord été surprise. Je lui ai demandé si elle ne trouvait pas cette démarche un peu paternaliste », explique Karine Silla. La romancière et réalisatrice a des raisons de se questionner : elle-même est née à Dakar d’un père sénégalais et d’une mère française. Elle vit à Paris, mais y retourne plusieurs fois par an. « Iman m’a répondu : “Mais Maman, regarde ! C’est une initiative menée par des femmes…” »
Le défilé Métiers d’arts de Chanel est une collection dédiée aux savoir-faire exclusifs de ses filiales : les maisons de broderies Lesage et Montex, le modiste Maison Michel, le parurier Desrues… Au fil des ans, la maison de la rue Cambon a mis le cap sur Salzbourg, Édimbourg ou encore Dallas, pour des shows-événements à la hauteur de cette démonstration unique en son genre. Cette fois-ci, la destination ne manque pas de surprendre. C’est une première pour Chanel, une première pour un pays d’Afrique noire, une première aussi pour ce que l’on appelle l’industrie du luxe : le défilé a eu lieu dans la capitale du Sénégal, le 6 décembre 2022. Il a longtemps été rêvé par Virginie Viard, la directrice artistique de Chanel : « Je voulais que ça se déroule en douceur, sur plusieurs jours d’échanges profonds, respectueux. » Pas de tente plantée le temps du show, à la manière d’une bulle hermétique à tout ce qui l’entoure : les invités, venus majoritairement du continent africain, ont été conviés dans ce lieu hautement symbolique qu’est l’ancien palais de justice de Cap-Martin.
Dès les années 1960, ce vaste bâtiment a accueilli, à l’extrême sud de la presqu’île, les grands noms de l’art mondial et des personnalités politiques tels Léopold Sédar Senghor, le « président poète », ou Mamadou Dia, l’ancien président du Conseil. « C’est un endroit extraordinaire, habité, avec ses fantômes… Mais l’art sait panser les mémoires douloureuses », assure Karine Silla, qui a finalement figuré parmi les invités. Un projet de femmes, avait dit Iman. L’argument a convaincu sa mère d’entamer une réflexion – et de concevoir un documentaire – sur ce défilé pas comme les autres.