– « C’est difficile pour nous les femmes d’accéder à la terre. Les hommes nous disent que puisqu’on n’en hérite pas, donner des terres aux femmes, c’est du gâchis. » Hortense Dan, née Tiassé, résume sans ambages l’injustice que subissent ses compatriotes ivoiriennes. Foulard rayé noué sur la tête, Mme Dan, qui reçoit dans la cour de sa maison du petit village brumeux de Gouakpale, dans la région du Tonkpi, à l’ouest de la Côte d’Ivoire, a le verbe facile, l’autorité naturelle et la ténacité nécessaire pour faire changer les situations. Hortense Dan est ici la cheffe d’une coopérative d’agricultrices, et si son combat a été rude, celui-ci n’a pas été vain. « Nos maris sont en train de comprendre que les femmes ont droit à la terre », dit-elle fièrement.
La terre est la première richesse dans ces régions rurales du pays et pourtant, la plupart des femmes en sont privées. En quantité d’abord : seulement 12 % des Ivoiriennes en étaient propriétaires en 2021, selon les données officielles de l’Agence foncière rurale. En qualité ensuite, puisqu’elles n’ont généralement pas le contrôle des plantations destinées au commerce – café, cacao, hévéa, coton, anacarde – et sont souvent cantonnées aux seules cultures maraîchères. La possession de la terre reste partout considérée comme une affaire d’hommes. « Mon père nous a légué trois hectares de cacao, et je considérais que c’était pour mon frère et moi seuls, reconnaît Samuel Flin Kpale, un habitant de Gouakpale. Je refusais d’envisager que mes sœurs puissent avoir accès à nos terres. Ou même qu’elles viennent me parler de leur gestion ! »
Mais les choses ont changé ici. Le mari d’Hortense Dan a accepté voilà un an de lui céder une partie de ses terres : sur sa parcelle d’un hectare et demi, elle cultive du manioc, du riz et des gombos. Samuel Flin Kpale associe désormais ses sœurs à la gestion de sa plantation de cacao. « Si une femme a été capable de diriger le Liberia, je ne vois pas pourquoi d’autres femmes ne seraient pas capables de cultiver des champs ! », plaisante-t-il.
Patrilinéarité
La raison de ce changement ? Gouakpale fait partie des 30 villages ciblés par le Projet d’appui à l’accès des femmes à la propriété foncière (AFPF). Un projet pilote sous l’égide de l’agence USAID et dont le gouvernement a confié les rênes à l’Américain Terah De Jong, secondé par le sociologue ivoirien Ghislain Coulibaly. Depuis son lancement le 1er octobre 2021, l’AFPF s’est implanté dans cinq localités rurales de chacune des régions du Poro, du Béré et du Tchologo (nord) et du Cavally, du Guémon et du Tonpki (ouest), avec pour objectif de soutenir l’accès des femmes à la terre, même si les traditions ont la vie dure.
« Nous sommes dans une société patriarcale, reconnaît le sociologue Ghislain Coulibaly. Le pouvoir est essentiellement détenu par des hommes, et transmis entre hommes. » L’immense majorité des femmes n’héritent pas de la terre, mais n’ont pas non plus la possibilité de la transmettre. Deux régimes de succession coexistent en Côte d’Ivoire : la matrilinéarité chez la plupart des Gour et des Akan, et la patrilinéarité chez les Mandé et les Krou. « Mais le dénominateur commun aux deux systèmes, poursuit le sociologue, c’est que la femme est exclue de la gérance foncière pour être assignée à son seul rôle reproductif. »
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