Avec la série « Racines », les États-Unis face à la réalité de l’esclavage

« Les séries qui ont changé notre regard » (2/6). Début 1977, le réseau ABC redoutait l’insuccès. Réunissant plus de 100 millions de téléspectateurs, la saga d’une famille africaine, de la déportation depuis la Gambie aux plantations du Sud esclavagiste, fut un triomphe.

Le Monde – Le 30 janvier 1977, il se trouva 100 millions d’Américains pour regarder le final de Racines. Le record d’audience établi l’année précédente par la programmation en prime time d’Autant en emporte le vent (1939) était battu. La série avait été diffusée huit jours d’affilée par le réseau ABC, qui redoutait l’insuccès et avait préféré concentrer d’éventuels mauvais chiffres sur une seule semaine.

A la décharge des dirigeants du groupe audiovisuel, on peut faire valoir le risque qu’ils prirent de se lancer dans une entreprise inédite dans l’industrie de la télévision. Adaptée du récit de l’écrivain Alex Haley Roots, la saga d’une famille africaine, qui planait en tête des ventes de livres depuis sa sortie en août 1976, Racines proposait pour la première fois à une heure de grande écoute une série dramatique dont les personnages principaux étaient tous noirs, déroulant l’histoire d’une famille – celle d’Alex Haley –, de la déportation d’un ancêtre, Kunta Kinte, de son village de Gambie vers le Sud esclavagiste, juste avant l’indépendance des Etats-Unis, jusqu’à la Reconstruction, l’époque qui suivit la guerre de Sécession.

Avant cela, l’industrie du spectacle américaine s’était gardée de mettre en scène l’esclavage autrement qu’à travers le regard des Blancs. Le révisionnisme qui faisait de l’économie de plantation sudiste un système paternaliste et protecteur restait la représentation dominante.

La coalition qui la fit voler en éclats n’était pas celle qu’on aurait pu attendre. Alex Haley – le seul Afro-Américain des promoteurs de l’entreprise – avait beau avoir coécrit L’Autobiographie de Malcolm X (1965), il votait républicain. Le producteur, David Wolper, était jusqu’alors connu pour des documentaires à succès destinés au petit écran et une poignée de longs-métrages commerciaux. Quant à ABC, le réseau s’était hissé à la première place des audiences grâce à des succès familiaux tels Happy Days ou The Brady Bunch.

« Une entreprise risquée »

C’est ce trio pourtant qui a rappelé aux Etats-Unis leur péché originel, à travers l’histoire de Kunta Kinte, adolescent mandingue capturé par des marchands d’esclaves, et celle de ses descendants. Ce sont eux les héros de la série, qui, de génération en génération, tentent de sauvegarder leur héritage que les planteurs veulent effacer, de préserver des familles disloquées par le commerce des êtres humains, de construire une nouvelle identité à travers les sévices et les privations.

Comme l’écrit le New York Times au printemps 1976, à l’occasion d’un reportage sur le tournage de la série, en Géorgie : « Racines est une entreprise risquée, artistiquement et commercialement (…). La possibilité existe que la description exhaustive et exacte de l’esclavage se révèle répugnante pour les téléspectateurs. »

Pourtant, dès le premier soir, Racines rencontre le succès. Cela tient à la fortune du livre. Alex Haley a mis douze ans à le rédiger, de la signature du contrat avec l’éditeur Doubleday à la parution. Se fondant sur des indices plutôt maigres (Haley se trouvera bientôt entraîné dans une controverse sur la valeur historique et généalogique de son travail, qui tournera à son désavantage), l’écrivain s’est convaincu qu’il descendait d’un clan mandingue de Juffureh, village sur l’embouchure du fleuve Gambie, et que son ancêtre, Kunta Kinte, avait été vendu en 1750 à Annapolis (Maryland), afin de servir dans une plantation de Virginie. Pour financer son travail (l’avance de Doubleday est depuis longtemps épuisée), il donne des centaines de conférences à travers les Etats-Unis, réunissant des centaines de milliers d’auditeurs qui seront autant de prosélytes de Racines.

Lire la suite

Source : Le Monde

Diffusion partielle ou totale interdite sans la mention : Source www.kassataya.com

Quitter la version mobile