L’Afrique, nouveau terrain de jeu du basket américain

M Le MagazineEnquête« Planète NBA » (6/6). Depuis sa création, en 1946, la National Basketball Association s’est imposée à la fois comme un concentré d’Amérique et une marque planétaire. En Afrique, où elle s’est implantée il y a vingt ans, elle développe un écosystème qui profite à l’économie du continent, et lui permet de s’offrir un vivier de sportifs hors pair.

Dix-sept ans. Une confiance en soi déroutante. Une maturité à la hauteur de ses 2,11 mètres. Et une carrière qui frappe de plus en plus fort à la porte de sa chambre. Ulrich Kamka Chomche a une obsession : conquérir la NBA. Il ne plaisante pas, habité comme jamais par ce désir ultime de transpirer pour le plus prestigieux championnat de basketball au monde. « Je veux devenir la prochaine référence. Inspirer les enfants », lance, au bord d’un parquet lumineux, l’adolescent, qui ponctue sa phrase par « la vie », autre façon de dire « je te jure ».

Depuis cinq ans déjà, ce jeune Camerounais est pensionnaire de la NBA Academy Africa à Saly, station balnéaire située à plus d’une heure au sud de Dakar. C’est dans ce coin du Sénégal que la ligue américaine a établi, en 2017, son premier centre de formation d’Afrique en louant une partie de l’institut Diambars, structure formant l’élite du football du pays.

Ce domaine de 15 hectares à quelques minutes de la plage est une « île » entourée de barbelés. A l’intérieur des murs, palmiers, piscine, classes, réfectoire, dortoir et un immense gymnase, hors norme pour cette partie du monde. Sous ce dôme climatisé, le logo bleu-blanc-rouge de la NBA se dédouble presque à l’infini, floqué sur les murs, sur les deux parquets qui viennent des Etats-Unis, sur les ballons Wilson ou encore sur les maillots d’entraînement.

 

Accent « made in USA »

 

Ici, ce n’est pas l’Amérique mais presque. On se parle en anglais avec l’accent « made in USA », à l’instar de Roland Houston, le directeur technique du centre, originaire de Philadelphie, faisant passer le français ou le wolof pour des langues étrangères. « Chez nous, c’est 100 % culture américaine », atteste le Sénégalais Sidy Sall, un des sept entraîneurs.

Ce trentenaire originaire de Kaolack, qui a étudié dans le Tennessee avant de jouer pro en Bolivie ou au Bahreïn, ajoute : « Les jeunes n’ont plus besoin de quitter le continent pour avoir une préparation d’élite. Si ma génération avait eu ce genre de structure, on aurait plus de joueurs africains en NBA. J’aurais rêvé d’ouvrir un tel centre dans mon pays, mais la NBA l’a fait. A nous de l’entretenir. »

L’objectif de l’académie est de détecter les plus grands potentiels du continent, de leur apporter une éducation poussée et de les former au basket de très haut niveau. « Mais aussi de les aider à devenir des hommes, insiste « coach Roland ». Nous avons des jeunes joueurs talentueux, bosseurs, affamés et intelligents. Nous leur donnons les outils et les opportunités pour qu’ils réussissent. »

 

Jouer sa vie et la destinée de sa famille

 

Cette saison, vingt-six aspirants de 14 à 18 ans, provenant de vingt et un pays (Gabon, Togo, Egypte, Nigeria…), d’origine parfois modeste, vivent dans cette académie et partagent, du matin jusqu’au soir, le même rêve : « Ecrire son nom en NBA », comme le martèle Khaman Maluach, un Sud-Soudanais de 16 ans, qui culmine déjà à 2,16 mètres. Pour atteindre cet objectif démesuré, il faut tout donner, sacrifier sa jeunesse, ne plus voir sa famille et posséder déjà une mentalité aussi solide que le cuir d’un ballon orangé.

« Si tu es faible, tu rentres chez toi, c’est le haut niveau », assure Ulrich Kamka Chomche. En plus des deux entraînements quotidiens de grande intensité, ces jeunes suivent une scolarité américaine en ligne avec la possibilité d’intégrer à la fin de leur parcours un campus aux Etats-Unis, et tenter ainsi de jouer en NCAA (championnat universitaire) ou en G League (ligue mineure, antichambre de la NBA). Ulrich Kamka Chomche, lui, a la possibilité de choisir entre les universités de Seattle ou d’Arizona à la rentrée.

 

 

« Je ne me suis pas encore décidé, dit-il. Quand je suis arrivé ici, je ne parlais qu’une seule langue, comme beaucoup d’entre nous. Aujourd’hui, je peux même draguer les filles en anglais. » Cet ailier, sérieux même dans ses sourires, est un peu le doyen du centre : il l’a intégré à l’âge de 12 ans. « Joe, un coach de l’académie, qui est Camerounais comme moi, m’a découvert dans mon village de Bafang [ouest du pays]. A l’époque, je vendais des œufs. On était très pauvres, raconte-t-il. J’ai appris à grandir ici. » Il suffit de l’écouter pour comprendre que le basket est plus qu’un sport : il joue sa vie et la destinée de ses seize frères et sœurs.

« Je mange bien, j’ai de l’eau potable, j’ai la clim dans ma chambre, une femme de ménage la range, on me donne les équipements, on voyage dans le monde entier pour des matchs, j’ai tout ce qu’il me faut, précise-t-il. Et en plus, on reçoit chaque mois 60 000 francs CFA [90 euros, équivalent au salaire minimum au Sénégal], que j’envoie à ma famille. »

 

Implanter sa marque sur le continent

 

Le Franco-Malien Dramane Camara, 19 ans, lui aussi aspirant à jouer un jour sur les parquets américains, décrypte le donnant-donnant : « L’académie investit sur nous et si l’un d’entre nous arrive en NBA, la ligue aura un retour sur investissement. Ils ne font pas du social, on l’a compris. Et si ça ne marche pas dans le basket, on pourra faire plein d’autres métiers autour de ce sport. »

Après l’Europe et l’Asie, la ligue américaine voit dans l’Afrique sa nouvelle frontière. Un marché d’avenir pour son développement, autant qu’un vivier de talents et un instrument du soft power des Etats-Unis. « L’Afrique va devenir un grenier à joueurs », veut croire Matar Bâ, ancien ministre des sports du Sénégal, aujourd’hui chef de cabinet du président Macky Sall. Depuis le lancement de la NBA Academy Africa, vingt-huit jeunes ont rejoint la NCAA et trois évoluent actuellement en G League.

 

 

Seul le Sénégalais Ibou Dianko Badji, 20 ans, a signé pour une équipe NBA – les Trail Blazers de Portland – en novembre 2022, mais, un temps blessé, il a dû attendre cet été pour faire ses premiers pas avec ses nouvelles couleurs, en Summer League. « D’autres viendront, prédit Babacar Ndiaye, président de la Fédération sénégalaise de basketball. Mais la ligue ne cherche pas seulement des joueurs pour garnir son championnat, elle veut aussi implanter sa marque sur notre continent. L’Afrique va devenir une expansion de la NBA. »

 

Les meilleurs contreurs de la ligue

 

Tout débute par un voyage, en octobre 1993, du grand patron de la NBA de l’époque, David Stern, qui s’envole pour l’Afrique du Sud, tout juste sortie de l’apartheid. Accompagné de stars originaires de cette partie du monde, il rencontre Nelson Mandela – distingué, quelques jours plus tard, du prix Nobel de la paix – et lui offre un blouson aux couleurs de sa ligue. « Il nous a fait part de l’énorme potentiel du sport pour rassembler les gens », explique, à son retour, l’Américain.

Les basketteurs africains commencent alors à se tailler une belle réputation aux Etats-Unis ; certains vont devenir des légendes tels le Nigérian Hakeem Olajuwon, champion NBA en 1994 et 1995, et le Congolais Dikembe Mutombo (RDC), respectivement premier et deuxième meilleurs contreurs de l’histoire de la ligue.

 

 

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 (Dakar, Saly, envoyé spécial), (Juba, correspondance) et

 

 

 

Source : M Le Magazine

 

 

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