Orientxxi.info – En islam, si la vie est sacrée, le corps humain est inviolable. Mort ou vivant, il appartient à Dieu, et nul ne peut le mutiler en prélevant sur lui des organes qui pourraient faire l’objet d’un quelconque commerce. Cependant, le Coran et les hadiths mettent l’accent sur l’importance du principe de nécessité, selon lequel il devient possible d’enfreindre les interdits religieux dès l’instant que la greffe est pratiquée dans le but de sauver une autre vie. Il est dit dans la sourate « Al-Maïda » (« La table servie ») du Coran, verset 32 que « quiconque sauve une vie a sauvé l’humanité entière. » Entretien avec le professeur Aziz El-Matri, néphrologue et membre de la Société internationale de transplantation.
Orient XXI. — Dans les pays musulmans, est-il licite de prélever des organes sur une personne vivante ou décédée ? Comment les médecins qui pratiquent des greffes parviennent-ils à contourner les éventuels interdits ?
Aziz El-Matri. — En islam, le corps humain est sacré : c’est un bien inaliénable, et le musulman a le devoir d’en préserver l’intégrité. Mais il y a aussi l’obligation de préserver la vie, quitte à enfreindre certains interdits. Ainsi, le principe de nécessité prime sur les interdits. Ceci a entrainé un consensus des jurisconsultes musulmans, de quelque obédience qu’ils soient, à considérer le prélèvement d’organes et la transplantation comme licites. Le premier pays à en autoriser la pratique a été le Koweït, avec une fatwa promulguée en 1979. Elle était suffisamment permissive et a servi de modèle aux jurisconsultes dans d’autres pays de la région. Elle a été suivie de la décision consensuelle du conseil de l’Académie des sciences du droit (fiqh) islamique (Casfi) réuni à Djeddah en août 1988. Depuis, plusieurs jurisconsultes ont émis des fatwas autorisant le prélèvement d’organes, en insistant sur la notion de don volontaire et l’interdiction d’en faire le commerce. Le prélèvement sur le donneur décédé ne fait pas consensus, malgré la décision n° 5 du Casfi réuni à Amman en octobre 1978 reconnaissant la mort encéphalique. Dès lors, quelle que soit la législation, peu de pays musulmans pratiquent des greffes de reins à partir de donneurs décédés, comme le font l’Arabie saoudite, la Jordanie et la Tunisie.
OXXI. — Mais qu’en est-il du commerce et du trafic d’organes ? Comment parvient-on à trouver des donneurs en dehors du milieu familial ?
A. M. — La maladie rénale chronique qui débouche souvent sur l’insuffisance rénale terminale augmente régulièrement dans notre région — comme ailleurs du reste —, ce qui entraine des besoins de plus en plus importants en greffes rénales alors qu’il n’y a pas suffisamment d’organes disponibles. Les organismes internationaux évaluent l’offre en organes (reins) dans le monde à 10 % des besoins seulement. Cette situation a entrainé un déséquilibre entre l’offre et la demande, d’où la commercialisation. Ainsi, dans les pays où les lois n’existent pas ou ne sont pas appliquées, les populations pauvres sont devenues des réservoirs d’organes dans lesquels il est possible de puiser.
Pour contrer cette tendance et lutter contre d’éventuelles pratiques de commercialisation, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a émis des principes guides qui ont été révisés à plusieurs reprises. Un comité international a élaboré une charte de bonne conduite qui a donné naissance à plus d’une déclaration, dont celle d’Amsterdam en février 2004. Puis l’OMS s’est associée à deux associations scientifiques internationales : la Société de transplantation (The Transplantation Society, TTS) et la Société internationale de néphrologie (International Society of Nephrology, ISN) pour tenir une réunion de représentants de 78 pays à Istanbul en mai 2008. Ils ont fait une déclaration connue sous le nom de « Déclaration d’Istanbul contre le trafic et le tourisme de transplantation ». Elle affirme que le trafic d’organes et le tourisme de transplantation violent les principes d’équité, de justice et de dignité humaine et doivent être interdits.
Dans notre région, le commerce d’organes est religieusement illicite et il est officiellement interdit dans tous les pays arabo-musulmans. Pourtant la réalité est différente. Certains pays tolèrent un commerce franchement illégal ; d’autres ont pris des dispositions qui permettent une certaine flexibilité.
En Iran et en Arabie saoudite, la loi autorise le versement d’une compensation financière (rewarded gift for living renal donors) aux donneurs de reins vivants, ce qui remet en cause le principe de la gratuité du don. En Arabie saoudite, on a le droit d’accorder des avantages en services ou en numéraire aux donneurs vivants ou aux familles des donneurs décédés — qui sont souvent des étrangers résidant dans le pays, par exemple la prise en charge directe ou indirecte du transport de la dépouille et des frais d’enterrement du donneur décédé et des accompagnants au pays d’origine, en plus d’une certaine indemnité.
Politologue, enseignante (université de Paris 1) et chercheuse associée au laboratoire Sirice
Néphrologue et membre de la Société internationale de transplantation.
Source : Orientxxi.info – ( Le 21 décembre 2017)
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