Le scandale « Windrush » : les enfants reniés de l’Empire britannique

M Le Mag – EnquêteIl y a soixante-quinze ans, accostait au Royaume-Uni le paquebot « Windrush », avec les premiers immigrés caribéens venus reconstruire le pays. En raison des politiques anti-immigration, de nombreux descendants de cette « génération “Windrush” » ont été traités comme étant des sans-papiers. Livrés à une administration amnésique, beaucoup attendent toujours les indemnisations qui leur ont été promises.

Un modeste pavillon dans une rue paisible du nord de Londres, entre une école primaire et la voie de chemin de fer. Enfoncés dans le canapé, Janet McKay-Williams et son compagnon, Anthony Bryan, casquette vissée sur la tête, nous reçoivent. Ce peintre décorateur de 65 ans, à la retraite, est arrivé au Royaume-Uni en 1965, à l’âge de 8 ans, depuis la Jamaïque, où il est né, pour rejoindre sa mère qui travaillait comme couturière à Londres. Né avant l’indépendance de la colonie britannique (en 1962), Anthony Bryan bénéficiait d’un droit de séjour permanent dans le « Mother country » (« mère patrie »), le surnom qu’on donnait encore dans les Caraïbes à la Grande-Bretagne.

En 2015, il veut rendre visite à sa mère, retournée à la Jamaïque. Il a besoin d’un passeport : il n’en a jamais eu. Il n’a jusqu’à présent jamais pris de vacances à l’étranger et, quand il a débarqué au Royaume-Uni, son nom était inscrit sur le passeport de son grand frère, comme c’était souvent l’usage pour les enfants.

« Au bout de quelques semaines, un sous-traitant du Home Office [le ministère de l’intérieur], l’organisme Capita, me dit que je ne suis pas enregistré comme britannique, que je suis en situation illégale et que je serai expulsé si je n’arrive pas à prouver que j’ai vécu ici toute ma vie », relate Anthony Bryan.

 

Place réservée dans un avion pour la Jamaïque

 

C’est le début d’un véritable calvaire. Aidé par Janet McKay-Williams, il tente de rassembler des documents prouvant qu’il a vécu plus de cinquante ans sans discontinuer au Royaume-Uni. Mais il a perdu son extrait d’acte de naissance depuis longtemps, son collège n’existe plus, son école primaire ne conserve les registres que pendant vingt ans.

« J’ai dû recontacter des professeurs, leur demander des courriers certifiant qu’ils se souvenaient de moi. On me réclamait des photos, mais ce n’était pas simple : à l’époque, pourquoi me serais-je pris en photo devant mon école ? ! De toute façon, ça n’était jamais assez pour le Home Office, on me disait que les documents que j’apportais, j’aurais pu les fabriquer. On pensait que je mentais », déplore Anthony Bryan.

 

Anthony Bryan, 65 ans, est né en Jamaïque avant l’indépendance du pays. Il a été placé deux fois en centre de détention et menacé d’expulsion. Son histoire a été adaptée à l’écran.

 

 

Assimilé à un sans-papiers, il perd son travail de peintre, son droit d’accès aux aides sociales, à l’hôpital public. Sa situation s’aggrave quand il est arrêté et menacé d’expulsion. Il passe trois semaines dans un centre de détention, à 260 kilomètres de Londres. « Il était loin, je ne savais pas comment le rassurer au téléphone, je me sentais impuissante », raconte Janet McKay-Williams. Il est finalement relâché « parce [qu’il a] fini par trouver une erreur dans son dossier », après qu’il a ­présenté les documents au Home Office, raconte-t-elle (les autorités avaient mélangé des éléments de son dossier avec celui d’un homonyme). En 2017, Anthony Bryan est de nouveau arrêté à son domicile. Sa place dans un avion pour la Jamaïque est déjà réservée quand sa compagne décroche l’aide d’un avocat, qui bloque son départ forcé in extremis.

 

Invités à venir travailler par les autorités

 

A l’époque, le couple ignore qu’il n’est pas seul à vivre ce cauchemar. Ils sont en réalité des milliers, pour la plupart Britanniques d’origine caribéenne, à se retrouver en délicatesse avec le ministère de l’intérieur. Presque tous sont des membres ou des descendants de la « génération Windrush », du nom d’un paquebot, le HMT Empire Windrush : leurs parents ont souvent été invités à venir travailler par les autorités britanniques.

Comme ces milliers d’infirmières ou d’élèves infirmières jamaïcaines enrôlées pour renforcer les rangs du NHS, le tout nouveau service public de la santé, fondé en 1948. Ou les milliers d’agents de la compagnie des transports de Londres qui avait lancé des campagnes de recrutement massif dans les Caraïbes, notoirement à la Barbade. Ce 22 juin, un peu partout au Royaume-Uni, sont fêtés les 75 ans de l’arrivée de ce premier paquebot, qui a transporté, en 1948, les 500 primo-représentants de cette génération ayant contribué à la reconstruction du pays après la guerre.

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(Londres, correspondante)

 

 

 

 

Source : M Le MagLe Monde  

 

 

 

 

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