Externalisation des visas : les États opèrent à l’ombre du privé

Pour obtenir un visa vers l’Europe, les prestataires de services tels que TLScontact sont désormais devenus incontournables. Censé faciliter le processus de demande, ce système d’externalisation avec des entreprises privées crée en réalité une distance avec les demandeur·ses, déresponsabilise les États, et priorise le gain. Analyse.

Inkyfada – “Ils croient que TLS, c’est le consulat, que TLS a un pouvoir sur l’accord ou le refus d’un visa, alors que ce n’est pas du tout le cas !” s’exclame Wael*. Cet ancien employé de TLScontact a travaillé au sein de l’entreprise entre 2015 à 2017. En contact au quotidien avec les demandeur·ses de visa et leur dossier, il témoigne de son expérience en interne, et de ses interactions avec les client·es, confus·es face à la procédure de visa et le rôle de ce prestataire de service. 

L’entreprise privée TLScontact Tunisie, dont les bureaux sont dans la capitale et membre du groupe Teleperformance – une multinationale de télécommunication -collecte les demandes de visas de plusieurs pays, comme la France, la Belgique, l’Allemagne et plusieurs autres encore. L’agence gère les rendez-vous, récupère les dossiers, prend les empreintes, puis encaisse, en espèces, les demandeur·ses pour les frais de service et de visa.

Pendant ses deux années à TLScontact, Wael passe par tous les services. “Au début j’étais agent polyvalent, j’ai commencé en bas de l’échelle”, se rappelle Wael. Au guichet de l’accueil, il collecte à la chaîne les dossiers de demandes de visas. Au service de documentation, il prend les empreintes des demandeur·ses. Dans le ‘back office’, il redistribue les passeports aux client·es pressé·es d’y voir – ou non – le tampon d’un visa.

À force de traiter les dossiers, Wael commence à comprendre les mécanismes de décision du consulat français.

“J’ai conseillé tellement de gens de ne pas demander le visa. C’est inutile. Certaines personnes ne te croient pas. Et après, elles sont refusées. […] Je le fais par humanité parce que c’est cher pour les Tunisiens,” soupire Wael.

Il se souvient de la nervosité des demandeur·ses face à son guichet, lorsqu’il passe machinalement la feuille d’instruction du consulat sous la vitre en plexiglas. Wael sait que la plupart des client·es ne se plaindront pas du système en place, des démarches coûteuses et interminables, de peur que cela influence leur dossier.

Pourtant, le rôle de Wael à TLScontact est purement administratif : l’entreprise privée n’a aucun pouvoir de décision sur le choix des représentations consulaires. En Tunisie, les prestataires de service comme TLScontact, VFSGlobal, ou encore BLS et Almaviva appliquent les décisions politiques des États étrangers et forment un obstacle de plus pour les demandeur·ses, renforçant les frontières extérieures au cœur même du pays.

Traitement des demandes de visa entre le consulat et TLScontact Le consulat Liste les justificatifs nécessaires à la demande de visa.Décide mensuellement de la disponibilité des rendez-vous. Prise de rendez-vous pour le dépôt du dossier. Site de TLScontact Accueille les demandeur·ses et reçoit leur dossier. TLScontact Transfère les dossiers de demandes au consulat. TLScontact Le consulat Décide de l’octroi ou non du visa. Rend les passeports aux demandeur·ses avec le visa ou la lettre de refus. TLScontact

TLS ou la mise à distance

À TLScontact, Dalia* pouvait traiter plus d’une centaine de demandes par jour. Conseillère de 2012 à 2016, elle se souvient de son impuissance face aux dossiers de certain·es client·es. “Je me rappelle d’un homme qui pleurait devant la caisse. Sa femme était en France et il avait vendu son salon pour payer les frais de visa. Il n’a jamais été accepté,” raconte Dalia en jouant nerveusement avec ses doigts.

Comme Wael, Dalia a accumulé une certaine expérience : “à force de traiter les dossiers, je peux vous dire qui sera refusé ou pas”. 

Selon l’ancienne employée, certains profils sont particulièrement défavorisés. Par exemple, les femmes veuves et à la retraite avec des enfants adultes installés en France. “Si le mari est vivant, ça passe. Mais une veuve âgée risque d’être refusée, même avec un dossier de prise en charge de son fils installé en France, tout simplement parce que personne ne la retient ici [en Tunisie]”, analyse Dalia.

Elle raconte avoir regardé de nombreuses fois son épaule, pour s’assurer que sa responsable ne la surveillait pas, avant de suggérer des modifications aux dossiers de ses client·es. Selon ses consignes, Dalia était seulement autorisée à pointer du doigt la liste des documents émise par le consulat, sans donner de détails sur les éléments manquants.

“Si un demandeur vous apporte un sachet vide et vous demande de le remettre au dossier, vous le remettez. Vous acceptez le dossier tel qui est”, explique Dalia, “et on n’a pas le droit d’insister ou de lui conseiller d’apporter d’autres documents. Mais par compassion, on informe parfois la personne.” 

 

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Source : Inkyfada (Tunisie) – Le 24 juin 2023

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