À Dakar, « c’est l’intifada » après la condamnation d’Ousmane Sonko

Afrique XXI Reportage · Depuis la condamnation de l’opposant Ousmane Sonko à deux ans de prison ferme pour « corruption de la jeunesse » le 1er juin, ses partisans manifestent avec fracas à Dakar et dans plusieurs villes du pays. La répression, violente, a fait plusieurs morts. Choses vues et entendues dans la capitale sénégalaise.

À Dakar, tout le monde en était persuadé : « Si Sonko est condamné, ça va chauffer ! » Et effectivement, ça a chauffé. Samedi 3 juin, 48 heures après la condamnation de l’opposant Ousmane Sonko à deux ans de prison ferme, on dénombrait déjà au moins 15 morts : 9 le jeudi et 6 le vendredi, selon le ministère de l’Intérieur. Poursuivi pour « viols » et « menaces de mort », le principal leader de l’opposition a été acquitté de ces chefs d’accusation le 1er juin. Mais il a été condamné (en son absence) pour l’improbable délit de « corruption de la jeunesse ». Une infraction qui punit de deux à cinq ans de prison « quiconque aura attenté aux mœurs en excitant, favorisant ou facilitant habituellement la débauche ou la corruption de la jeunesse de l’un ou l’autre sexe au-dessous de l’âge de 21 ans ».

Adji Sarr avait 20 ans à l’époque où sa route a croisé celle d’Ousmane Sonko. En entendant le juge prononcer le verdict, elle a versé des larmes. Une semaine plus tôt, à l’audience, elle avait décrit en détail les viols répétés qu’elle accusait le politicien de lui avoir fait subir dans le salon de massage où elle travaillait. « Je suis effondrée, a-t-elle confié au journal Le Monde peu après avoir pris connaissance du verdict. Ousmane Sonko m’avait dit à plusieurs reprises que personne ne me croirait. Il avait raison. Ces deux ans de prison ferme, je n’en ai rien à foutre ! Il m’a violée, c’est ça la vérité. Je suis choquée. Tout ça pour ça. C’est lui qui a gagné, j’ai perdu1. »

Sur les réseaux sociaux, c’était la curée contre celle qui, depuis deux ans, n’a cessé d’être insultée et moquée par les partisans de l’opposant. Lui-même, quelques jours avant le verdict, l’avait bassement taclée. Tout en protestant de son innocence, il avait clamé que tant qu’à violer quelqu’un, il aurait choisi une belle femme, pas « une guenon atteinte d’un AVC ».

Reste que pour les partisans de Sonko comme pour nombre d’observateurs, le jugement accrédite la thèse du « complot politique » destiné à écarter Ousmane Sonko de la course à l’élection présidentielle de février 2024.

« Il a été condamné pour un délit pour lequel il n’a jamais été poursuivi, ni pendant l’enquête préliminaire, ni pendant l’instruction, remarque Seydi Gassama, directeur de la section sénégalaise d’Amnesty International. Ce délit de “corruption de la jeunesse”, il n’en a été question ni dans l’ordonnance de renvoi du juge d’instruction, ni même pendant les débats à l’audience, qui a duré toute une journée. C’est seulement dans son réquisitoire définitif que le procureur a dit au juge : “Si vous ne le condamnez pas pour viol, condamnez-le pour corruption de la jeunesse.” Finalement, il y a eu acquittement pour les charges pour lesquelles il était poursuivi, mais on a sorti ce nouveau délit pour asseoir la condamnation. C’est cela qui a évidemment étonné beaucoup de Sénégalais, qui les a laissés incrédules et qui a amené ces réactions spontanées de violences dans les rues auxquelles l’État a répondu avec beaucoup de brutalité, par un usage excessif de la force. »

 

« Ce ne sont pas juste des pneus qui crament »

 

Jeudi midi. Moins d’une heure après l’annonce du verdict, pneus, poubelles et autres combustibles commencent à brûler au milieu des rues de la capitale. Dans l’après-midi, les réseaux sociaux s’emplissent de vidéos d’émeutes : incendies, affrontements « pierres contre gaz lacrymogènes » entre jeunes et forces de sécurité… Ces heurts surviennent à Dakar, mais aussi dans ses banlieues et dans d’autres villes du pays, notamment à Ziguinchor, en Casamance, la ville dont Ousmane Sonko est le maire.

Dans la capitale, un immense panache de fumée noire s’échappe de l’université Cheikh-Anta-Diop, foyer historique de contestation. « Ça, ce ne sont pas juste des pneus qui crament », lance un curieux qui observe la scène depuis un quartier voisin. Effectivement, ce qui brûle, ce n’est rien de moins que le « chapiteau » de la faculté de droit (un grand amphithéâtre).

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Clair Rivière

Source : Afrique XXI

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