Mauritanie – Lettre aux camarades / Par Mouhamadou SY

Dans cette note, j’aimerais rendre publique une décision importante quant à mon engagement citoyen. L’écrire et la publier ne sont synonyme d’aucune prétention à une place, petite ou grande, dans l’écosystème de la lutte pour des causes qui nous unissent. Je ne fais qu’exprimer une position comme chacun d’entre nous peut être amené à le faire, et comme je l’avais été sur d’autres sujets.

Dans beaucoup d’articles et de notes, j’ai eu à questionner et à vivement critiquer nos luttes, les accusant notamment de trahir, par moments, les causes qu’elles prétendent défendre. Je le fais souvent, en particulier quand une injustice est commise – ou est soutenue- par l’un ou l’autre de ces camps que l’opinion générale tend à ranger dans l’archipel de causes vaguement dites des opprimés ; quand bien même l’oppression n’est pas vague et est bien réelle.

Je réitère cette critique et ce questionnement. Et le fond de cette note et la décision qu’elle véhicule portent là-dessus.

Je signe et persiste à dire que nos luttes trahissent bel et bien les causes qu’elles prétendent défendre. Elles crient à l’injustice alors qu’elles la pratiquent en plein régime. Elles fustigent la discrimination alors qu’elles la protègent bec et ongles. Elles disent s’indigner par les inégalités alors qu’elles les assument et les défendent. Bref, elles disent se révolter contre un système injuste alors qu’elles adoubent les produits d’autres systèmes tout aussi générateurs d’injustices et d’inégalités. Pire, elles leur cherchent même des justifications, y compris par des argumentations pseudoscientifiques.

C’est ainsi que pour se dérober à l’impérieuse lutte contre le féodalisme, un leader politique utilisa d’une façon très douteuse l’analyse des castes de Cheikh Anta Diop. Présenter comme un avantage l’absence de révolution quand il s’agit du système social, alors que l’on avait vivement souhaité une telle révolution quand il s’agit du système étatique est pour le moins d’une incohérence déconcertante. Ne sont-ce pas là deux systèmes discriminatoires dont les discriminés ont un égal droit à leur démantèlement ? Je n’ai pas choisi cet exemple d’illustration par hasard. Il concerne le sujet concret : le peu de considération accordée à la question sociale – castes, esclavage, condition de la femme – ou l’aversion même à son égard dans la lutte politique du milieu dit négro-mauritanien. Penser que le déséquilibre ethnique au cœur de l’État et de ses institutions est plus humiliant que l’hégémonie s’accaparant de toutes les chefferies, de tous les imamats, de l’écrasante majorité des terres et des espaces vitaux de la campagne, n’est pas une philosophie à laquelle je peux adhérer. Il est indéfendable de soutenir qu’il est outrancier que la direction de la prière tende à être la priorité d’une ethnie tout en se taisant quand elle est la propriété d’une catégorie sociale.

L’on répète que le MND n’est pas idéologiquement valable quand il prétend que le problème intercommunautaire se résoudrait de lui-même après que fut résolu le problème impérial. L’on revient tenir le même procédé argumentaire en prétendant que le problème intracommunautaire se résoudra de lui-même quand se règlera le problème intercommunautaire.

Deux arguments identiques à changement d’échelle près ! On est comme quoi le ‘MND’ de quelqu’un d’autre… Quelqu’un qui a le droit de nous pointer du doigt de la même façon qu’on l’a fait sur ceux dont l’analyse nous avait déplu. Et je m’arrête là sur ces quelques contradictions dont la seule explication ne renvoie qu’au péché originel de nos luttes : la minimisation sinon la négation, assumée ou pas, de la question sociale intracommunautaire. Péché qui, après l’usage de toutes les ruses destinées à l’assumer ou à le nier, reste toujours là à nous hanter.

D’autres données en disent quelque chose de plus poussé sur une telle minimisation. Nous ne les exposerons pas ici.

Au bout d’un profond recueil de données et d’une analyse sur ces données, j’avais écrit 60 pages d’étude documentée. 60 pages détaillées qu’il fallait publier à la fin de ce qui m’apparaissait comme un « moratoire sur la vérité » ; à savoir la précampagne et la campagne électorales. Mais j’ai fini par comprendre que les publier ne ferait qu’envenimer la situation déjà inflammatoire. Chose qui, malgré le droit à l’information, n’est pas souhaitable. Même les 5 pages de résumé subiront ainsi la même et malheureuse autocensure.

Cela ne m’empêchera pas toutefois d’appeler la jeunesse engagée dans le militantisme à plus de vigilance et de contrôle sur les faits et actes de leurs dirigeants et de leurs leaders. Plus que de serviteurs de nobles causes, ces derniers s’avèrent souvent, et de façon profondément ancrée, être à la solde de certaines méthodes qui fossoient ces causes mêmes.

J’invite cette jeunesse pleine d’espoir et d’énergie à aller plus loin que les discours, les postures et les récits, malgré l’enveloppe à multiple couches d’une propagande bien tissée dans laquelle l’on tente de l’engloutir. Qu’elle évite l’enfermement dans ces bulles attrape-militants dans lesquels des maîtres, parfois sans vergogne, veulent la maintenir dans le but d’assouvir un plaisir égocentrique qu’ils ont l’habileté de présenter comme un projet révolutionnaire. Elle se retrouve disloquée en de petits tas insignifiants, montés les uns contre les autres au gré des bulles et clans qui n’ont de politique que le nom. Vous vous retrouvez à vouer une détestation aiguë d’une personne (père, mère, frère, sœur au sens africain des termes) ou d’un groupe pour la simple raison d’appartenance à un clan donné, à une bulle classée ‘ennemie’. Il n’y a rien de révolutionnaire dans ce jeu-là ! Il n’y a que bataille d’égo, subjectivation des principes de la lutte, commerce indigne des sentiments, in fine trahison et travestissement ou simple oubli des causes qui, elles, restent bien révolutionnaires.

Il arrive à certains voyageurs malheureux de céder aux charmes du chemin à en oublier la destination. Le militant qui place son clan au-dessus de la cause, tout comme le leader qui le fait au bénéfice de son égo, en est un bon spécimen. Mais étant conditionné par divers mécanismes à l’être, il serait mal placé de blâmer ici un tel militant.

Le malheur d’un clan politique est que, le plus souvent, sa raison de subsister est plus garantie par l’acquisition d’une base militante que par le respect scrupuleux de la cause à défendre. Et l’ennui se trouve dans le fait qu’il n’y a pas un lien de cause à effet entre ces deux paramètres. Certains contextes aidant, l’on peut avoir la première sans observer le second, ni même le respecter. C’est le lieu où le populisme, la propagande diabolisante et la manipulation éhontée des sensibilités peuvent, tels des chemins de plus courte distance, se substituer à la rigueur et à l’éthique, et agir avec une grande efficacité. On s’en retrouve à orienter toute la lutte dans ce sens, à ne plus se mesurer aux exigences de la cause, et ainsi à la trahir.

 Dans le cas mauritanien, la clandestinité politique longtemps vécue nous a légué des réflexes bien résistants qui continuent d’agir sans se soucier de la pollution apocalyptique qu’elle dégage.

Le partage du peuple. Voilà le fil conducteur de la logique des partis. En soi, disons que c’est un travers nécessaire d’un jeu démocratique régi par la lutte des partis. Je ne m’étalerai pas sur mes critiques de cette nature des choses ; ce n’est pas le propos ici. Ce sont plutôt les façons de le pratiquer qui sont concernées par cette protestation. Loin de procéder par une séduction qui insiste sur la proposition, l’on préfère les réflexes intellectuellement et politiquement moins coûteux tendant à la clanisation dont un corollaire est la pratique d’un chantage sur le peuple. Bien sûr que le sentiment d’appartenir à un clan est bien une raison suffisante pour le défendre. Et le tour est joué. Sauf que ce sentiment fait appel à des ressorts émotionnels qui n’impliquent pas que le fait de défendre… Et il est hautement irresponsable de faire feu de ce bois-là ; feu qui est amené à incendier l’adversaire, mais aussi l’allié politique naturel que des conditions du ‘partage du peuple’ peuvent présenter comme un épouvantable ennemi. Ce processus explique pourquoi ceux qui se targuent de lutter pour la même cause se retrouvent enfermés dans des bulles qui se livrent à plus de guerres qu’elles n’en font au véritable adversaire.

Quand on parle d’une lutte non sélective, les esprits étriqués n’y voient même pas un avantage à leur propre survie sur le terrain politique où le camp auquel ils appartiennent reste proie à tant d’hémorrhagies et à une désuétisation progressive. Mais, tout en espérant une révolution, ils refusent de se révolutionner. De révolutionner les vieilles mentalités féodales et misogynes, nids des forces pernicieuses qui assureront leur implosion. Se révolutionner. Voilà la grande révolution, mère de toutes les autres.

Je n’ai pas voulu publier mon analyse aussi parce qu’elle pouvait induire un biais. Ne se concentrant que sur une ‘branche politique’, le lecteur pourrait penser que cette dernière est pire que les autres. Ce serait un contresens !

En dépit de mon refus d’adhérer à un quelconque parti politique, j’ai quand même été proche d’une certaine mouvance et ai répondu présent à moultes débats et controverses politiques liés à la cause. L’évidence de cette proximité fait que beaucoup sont ceux qui, de bonne foi, m’y amalgament. Si j’y ai vu des sensibilités convergentes avec les miennes, si j’ai participé, de dehors, à sa dynamique globale jusqu’à ces élections en cours, je n’ai cependant jamais perdu de vue la nécessité critique d’observer une objectivité dans ma position. Tout regrettable que cela puisse être, il s’est avéré que l’objectivité n’est acceptable que quand elle ne tend pas à s’attaquer à la raison d’être de la mouvance, qui tout compte fait est loin d’être sa cause affichée. Car cela m’étonnerait qu’une cause juste puisse être inquiétée par une quelconque objectivité.

En tout cas, celle pour laquelle je me bats ne demande que plus et encore plus d’objectivité. C’est pour cela qu’elle ne ruse pas en usant d’artifices bancals pour se dédire et se contredire à volonté. Si la discrimination est mauvaise, elle le restera peu importe qui la pratique sur qui. Et aucune complicité ne devrait empêcher de la dénoncer.

Après cette exposition, incomplète pour des raisons évidentes, j’annonce ma décision de mettre fin à tout lien politique avec une mouvance quelle qu’elle soit pour me concentrer sur l’unique chose qui importe : la cause déniée de toute sensibilité partisane. Je compte l’aborder sur le terrain culturel, éducatif et scientifique ; notamment en participant à la préparation d’une jeunesse scientifiquement qualifiée, culturellement ancrée et socialement intègre. J’accomplirai ces activités, en collaboration avec toute bonne volonté, dans des cadres associatifs dénués de toute considération d’ordre politique et loin des usages dévoyés.

L’importance du travail à accomplir dans ce domaine me convainc désormais plus que la poursuite dans ce bord politique dont on ne peut pas dire que les codes et les procédures qu’il m’est donné d’y observer m’inspirent beaucoup de foi. Voilà le projet sur lequel je mise désormais avec l’espoir d’être utile, un tant soit peu, au mieux-être du peuple, sans distinction aucune, qui est et restera la seule fin de ma démarche citoyenne et militante.

 

Merci pour le temps de la lecture.

 

 

 

Mouhamadou Sy

Le 27 mai 2023

 

 

 

 

(Reçu à Kassataya.com le 27 mai 2023)

 

 

 

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