Le Ghana, poubelle de la « fast fashion » mondiale

Le pays d’Afrique de l’Ouest est submergé par le débarquement massif de textiles usagés en provenance des pays occidentaux et d’Asie, dont la qualité de plus en plus médiocre empêche la commercialisation. Des activistes dénoncent un « colonialisme des déchets ».

Le Monde  – Sur la plage de Jamestown, le parcours matinal de l’équipe de Joey Ayesu n’a rien d’une promenade de santé. A l’extrémité de ce quartier populaire d’Accra, la capitale du Ghana, il faut slalomer entre les embarcations des pêcheurs, les barquettes de polystyrène, les bouteilles en plastique et, plus encore, entre les amas de chaussures, les pantalons et les lambeaux de tee-shirt qui forment par endroits de véritables dunes où s’attardent les cochons. Un spectacle de désolation que traversent Joey et ses acolytes pour aller prélever un peu d’eau de la mer. Ces échantillons, collectés chaque semaine depuis août 2022 dans l’océan (le golfe de Guinée) et la lagune, visent à évaluer la pollution causée par le débarquement massif de textiles usagés en provenance des pays occidentaux et d’Asie.

« Nous mesurons la quantité de microfibres dans l’eau, issues de tous ces vêtements en nylon ou en polyamide qui échouent sur nos plages », explique Joey en rebouchant un tube à essai. « Il y a un vrai danger pour nos métabolismes, ne serait-ce que parce que les poissons avalent ces substances et que nous mangeons les poissons », poursuit le technicien de laboratoire, responsable de la recherche écologique à la Or Foundation, l’ONG qui coordonne cette enquête, dont les premiers résultats devraient être publiés d’ici à la fin de l’année.

Fondée par une ancienne styliste américaine, Liz Ricketts, l’organisation, basée au Ghana, lutte contre la transformation du pays d’Afrique de l’Ouest en poubelle textile de l’Occident. Car, au fil des ans, celui-ci est devenu l’une des principales arrière-boutiques de la « fast fashion » mondiale, cette mode jetable et de faible qualité, subissant au passage une multitude de dégâts collatéraux. Chaque semaine y arrivent par conteneurs environ 15 millions d’articles de seconde main dont les consommateurs européens, américains, chinois ou coréens ont choisi de se débarrasser. L’essentiel de ces obroni wawu (« les vêtements de l’homme blanc mort », comme on les appelle en langue twi) est acheminé à Kantamanto, situé dans le cœur économique d’Accra, l’un des plus grands marchés d’occasion d’Afrique, pour être revendu. Ils alimentent un véritable écosystème où s’activent quelque 30 000 tailleurs et commerçants. Mais, selon les estimations de la Or Foundation, 40 % des fripes sont de si piètre qualité qu’il faut les mettre au rebut.

 

Un « colonialisme de déchets »

 

« La surproduction et la surconsommation des pays du Nord sont une boîte noire dans l’industrie de la mode, se désole Liz Ricketts. Le trop-plein est expédié ici, mais il ne s’agit ni de recyclage ni de charité : c’est un business dont le Ghana doit gérer les effets délétères sans en avoir les moyens. » Un « colonialisme des déchets » que la fondation veut mettre en lumière en emmenant à Bruxelles et à Paris une délégation de marchands de Kantamanto à partir de vendredi 19 mai. Au programme : des rencontres avec des députés et des ONG européens, avec des acteurs des filières de collecte et de tri, et diverses tables rondes, notamment lors du sommet ChangeNow, organisé du 25 au 27 mai à au Grand Palais éphémère, à Paris.

Vendeuse au marché depuis six ans, Patricia Boatemaa a vu se dégrader sans cesse la valeur des produits. Comme tous ses pairs, elle achète presque chaque semaine des balles de 55 kg d’habits en espérant les écouler auprès de nouveaux clients. Au cœur de la fourmilière de Kantamanto, cachée derrière les trois portants de jupes, de pantalons et de chemisettes qui délimitent son stand, elle détaille les mauvaises surprises du dernier paquet pour lequel elle a déboursé 5 000 cedis (environ 430 euros). Mailles trouées ou distendues, couleurs délavées, col taché… « J’ai dû jeter plus d’un tiers des vêtements », soupire cette femme de 35 ans qui élève seule ses deux enfants.

 

Des ballots de vêtements d’occasion non triés s’empilent en bordure du marché de Kantamanto, à Accra (Ghana), le 23 février 2023.

 

Avec l’argent qu’elle doit encore dépenser pour le transport, la location de son emplacement et l’électricité, voilà des mois qu’elle vend à perte. En novembre, elle a accompagné un premier voyage en France de la Or Foundation. Ce qu’elle a vu en visitant des boutiques de prêt-à-porter ne l’a guère rassurée : des vêtements aux tissus et aux finitions médiocres, même neufs.

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(Accra, envoyée spéciale)

Source : Le Monde 

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